JUGEMENT L’appel interjeté contre l’arrêt de la Cour d’appel du Québec (Montréal), numéros 500-10-006180-168, 500-10-006181-166, 500-10-006182-164 et 500-10-006190-167, 2020 QCCA 1118, daté du 3 septembre 2020, a été entendu le 10 février 2022 et la Cour a prononcé oralement le même jour le jugement suivant : Le juge Kasirer — Le ministère public se pourvoit à l’encontre d’un arrêt de la Cour d’appel du Québec qui casse quatre déclarations de culpabilité et ordonne, au profit des intimés, un arrêt des procédures en raison d’une violation de leur droit d’être jugés dans un délai raisonnable. L’appelant demande l’annulation de l’arrêt des procédures et le renvoi du dossier à la Cour d’appel afin que cette dernière tranche les neuf moyens d’appel qu’elle a choisi de ne pas aborder, jugeant qu’il serait inutile de le faire dans les circonstances. Le 14 septembre 2009, les intimés ont été accusés de recyclage de produits de la criminalité, de complot et de gangstérisme. En 2014 et 2015, ils déposent des requêtes en arrêt des procédures en vertu de l’al. 11b) et du par. 24(1) de la Charte canadienne des droits et libertés . Le 17 septembre 2015 — avant que notre Cour ne rende l’arrêt R. c. Jordan, 2016 CSC 27, [2016] 1 R.C.S. 631 — la Cour du Québec rejette les requêtes, estimant que l’arrêt des procédures n’était pas une réparation appropriée. Ayant conclu à un délai de 77 mois entre les inculpations et la fin projetée du procès, le juge conclut à une violation de l’al. 11b) de la Charte . Toutefois, il refuse d’ordonner l’arrêt des procédures au motif que le délai n’a pas porté préjudice aux accusés. Sur ce point, le juge décide : « il y a autant de préjudices découlant de l’accusation, et non pas du délai déraisonnable » et conclut qu’il existe un intérêt social « certain et primordial » à voir les accusés subir leur procès (motifs de la Cour du Québec, d.a., vol. I, p. 60). Le jugement de culpabilité est rendu le 22 juin 2016. De l’avis de la Cour d’appel, le juge n’avait d’autre choix que d’ordonner l’arrêt des procédures après avoir constaté une violation de l’al. 11b) (citant R. c. Rahey, [1987] 1 R.C.S. 588). La Cour d’appel refuse de revoir les motifs du juge de première instance quant à la violation de l’al. 11b) , estimant que le dossier d’appel n’était pas suffisamment complet pour lui permettre de déterminer si l’évaluation des délais par le juge était inadéquate ou erronée. Devant notre Cour, le ministère public reconnaît que le juge de première instance a commis une erreur, mais est d’avis que cette erreur n’était pas déterminante quant au résultat. Il soutient que la Cour d’appel a erré en ordonnant l’arrêt des procédures en se fondant sur la conclusion erronée et prématurée du juge de première instance que l’al. 11b) avait été violé. Avec égards, le juge de première instance a erré en évaluant le préjudice subi par les accusés au stade du remède, plutôt que d’en tenir compte pour déterminer si l’al. 11b) avait été violé, selon les critères applicables à l’époque énoncés dans R. c. Morin, [1992] 1 R.C.S. 771. Toutefois, malgré cette erreur, une analyse fonctionnelle de ses motifs démontre qu’il a tenu compte des facteurs pertinents et qu’il est parvenu à la bonne conclusion, soit le rejet des requêtes en arrêt des procédures. En effet, bien qu’il se soit trompé quant à l’étape de l’analyse où le préjudice devait être pris en compte, son refus d’ordonner l’arrêt des procédures permet néanmoins de conclure que l’al. 11b) n’a pas été violé selon les critères de l’arrêt Morin. La Cour d’appel a omis de faire ce constat (par. 17-18). Dans les circonstances, nous sommes tous d’avis que la Cour d’appel avait tort d’ordonner l’arrêt des procédures que le juge a lui-même refusé. En tout respect, la Cour d’appel a erré en refusant de réexaminer le caractère déraisonnable des délais au motif que le dossier qui lui était présenté était incomplet. En appel, le ministère public a produit une liste d’admissions des parties, déposée par les parties en première instance en vertu de l’art. 655 du Code criminel, L.R.C. 1985, c. C-46 , qui contenait une chronologie détaillée des faits et dont la Cour d’appel n’a aucunement analysé le contenu. Nous sommes d’avis que la preuve au dossier permettait aux juges d’appel de faire cette analyse. Notons qu’aucune liste d’admissions des parties ne faisait partie des dossiers d’appel dans les affaires sur lesquelles la Cour d’appel s’est appuyée, au par. 14 de ses motifs, pour justifier son refus de réexaminer les délais en l’espèce. Bien qu’un tribunal ne soit pas lié par les admissions de droit, un exposé commun peut se révéler utile en appel et contribuer à réduire les délais qui sont à l’origine de l’atteinte alléguée par un accusé (voir, par ex., R. c. Bryant, 2021 QCCA 1807, par. 3). La preuve au dossier permet de constater que les intimés ont causé directement la majeure partie des délais dont ils se plaignent et qu’ils se sont efforcés de faire dérailler le procès en présentant de multiples demandes, requêtes, et appels interlocutoires — infructueux pour la plupart. Ces délais sont largement mais pas exclusivement imputables à la défense et doivent être soustraits du délai total. De plus, les intimés ont causé des délais supplémentaires en insistant pour qu’un certain procureur les représente malgré un conflit d’intérêts évident. En 2011, le juge d’enquête préliminaire a conclu que Mélanie et Dax Ste-Marie ne pouvaient être représentés par le même avocat. Par conséquent, ils ont dû se représenter eux-mêmes. Malgré le conflit d’intérêts, ils ont continué d’insister pour que le procureur de leur père, Michel Ste-Marie, les représente tous les trois. Ils ont maintenu cette position pendant plus de deux ans. Cette ligne de conduite était manifestement intenable et elle a causé un retard supplémentaire. Notre conclusion est la même en ce qui concerne Richard Felx. Bien que le conflit d’intérêts ne le concernât pas directement, il ne s’est jamais montré préoccupé par les délais causés par ses coaccusés. De plus, la poursuite lui a offert à plusieurs reprises de tenir sa propre enquête préliminaire, mais il a toujours refusé. L’arrêt Jordan nous rappelle le principe, applicable en l’espèce, selon lequel la défense ne doit pas être autorisée à profiter de sa propre conduite à l’origine du délai ou de ses tactiques dilatoires (par. 60 et 63; voir Morin, p. 802; R. c. Askov, [1990] 2 R.C.S. 1199, p. 1227-1228). L’appelant soutient qu’une fois les déductions faites, le délai net s’élève à tout au plus 35 mois (m.a., par. 41). Les intimés Mélanie Ste-Marie, Dax Ste-Marie et Richard Felx réfèrent à ce même calcul dans leur mémoire (m.i., par. 37). Tenant pour acquis, aux fins de la discussion, que le délai résiduel dépasse le plafond fixé par l’arrêt Jordan, la présomption de caractère déraisonnable peut être renversée au moyen de la mesure transitoire exceptionnelle (Jordan, par. 96-97). La mesure transitoire exceptionnelle peut s’appliquer dans les cas où il est démontré que « le temps qui s’est écoulé est justifié du fait que les parties se sont raisonnablement conformées au droit tel qu’il existait au préalable » (R. c. Cody, 2017 CSC 31, [2017] 1 R.C.S. 659, par. 68). Dans R. c. Rice, 2018 QCCA 198, 44 C.R. (7th) 83, par. 202, le juge Vauclair souligne que, à cette fin, le tribunal peut examiner le comportement des accusés : « [l]’absence d’empressement est un indice du peu de préoccupation de l’accusé à l’égard des délais et peut servir à évaluer le préjudice ». Cela rejoint la détermination factuelle du juge de première instance en l’espèce qui constate que le préjudice dont les intimés se plaignent ne découle pas du délai. Dans les circonstances, en application de la mesure transitoire exceptionnelle désignée dans Jordan, il y a lieu de conclure que l’al. 11b) de la Charte n’a pas été violé et le juge de première instance avait raison de rejeter les requêtes pour arrêt des procédures. Pour ces motifs, nous sommes d’avis d’accueillir l’appel, d’annuler l’arrêt des procédures, et de renvoyer l’affaire devant une nouvelle formation de la Cour d’appel du Québec pour l’examen des autres moyens d’appel qui restent en suspens. |
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JUDGMENT The appeal from the judgment of the Court of Appeal of Quebec (Montréal), Numbers 500-10-006180-168, 500-10-006181-166, 500-10-006182-164 and 500-10-006190-167, 2020 QCCA 1118, dated September 3, 2020, was heard on February 10, 2022, and the Court on that day delivered the following judgment orally: [translation] Kasirer J. — The Crown appeals from a judgment of the Quebec Court of Appeal quashing four convictions and entering a stay of proceedings in favour of the respondents because of a violation of their right to be tried within a reasonable time. The appellant asks that the stay of proceedings be set aside and that the case be remanded to the Court of Appeal for a decision on the nine grounds of appeal that it chose not to address, as it found it unnecessary to do so in the circumstances On September 14, 2009, the respondents were charged with laundering proceeds of crime, conspiracy and criminal organization offences. In 2014 and 2015, they filed motions for a stay of proceedings under ss. 11(b) and 24(1) of the Canadian Charter of Rights and Freedoms . On September 17, 2015, before this Court rendered its decision in R. v. Jordan, 2016 SCC 27, [2016] 1 S.C.R. 631, the Court of Québec dismissed the motions, finding that a stay of proceedings was not an appropriate remedy. Because the judge found a 77‑month delay between the charges and the anticipated end of the trial, he held that s. 11(b) of the Charter had been infringed. However, he declined to enter a stay of proceedings on the ground that the accused had not been prejudiced by the delay. On this point, the judge held that [translation] “there is as much prejudice resulting from the charge, and not from the unreasonable delay”, and that there was a “clear and compelling” societal interest in having the accused stand trial (Court of Québec reasons, A.R., vol. I, at p. 60). The judgment of conviction was rendered on June 22, 2016. In the Court of Appeal’s view, the judge had no choice but to enter a stay of proceedings after finding an infringement of s. 11(b) (citing R. v. Rahey, [1987] 1 S.C.R. 588). The Court of Appeal declined to review the trial judge’s reasons concerning the infringement of s. 11(b), finding that the appeal record was not sufficiently complete to permit it to determine whether the judge’s assessment of the delays was inadequate or wrong. In this Court, the Crown acknowledges that the trial judge made an error, but it takes the view that the error was not determinative of the outcome. It argues that the Court of Appeal erred in entering a stay of proceedings in reliance on the trial judge’s erroneous and premature conclusion that s. 11(b) had been infringed. With respect, the trial judge erred in assessing the prejudice suffered by the accused at the remedy stage rather than considering it in determining whether s. 11(b) had been infringed, in accordance with the criteria applicable at the time set out in R. v. Morin, [1992] 1 S.C.R. 771. Despite that error, however, a functional analysis of his reasons shows that he considered the relevant factors and reached the correct conclusion, namely that the motions for a stay of proceedings should be dismissed. Although he was mistaken about the stage of the analysis at which prejudice had to be considered, his refusal to enter a stay of proceedings nonetheless makes it possible to conclude that s. 11(b) was not infringed based on the Morin criteria. The Court of Appeal failed to make this finding (paras. 17‑18). In the circumstances, we are all of the view that the Court of Appeal erred in entering the stay of proceedings that the judge had himself denied. With respect, the Court of Appeal erred in refusing to re‑examine the unreasonableness of the delays on the ground that the record before it was incomplete. On appeal, the Crown filed a statement of admissions by the parties — filed by the parties at trial under s. 655 of the Criminal Code, R.S.C. 1985, c. C-46 — that contained a detailed chronology of events, the content of which was not analyzed at all by the Court of Appeal. In our opinion, the evidence in the record allowed the appeal judges to carry out that analysis. It should be noted that a statement of admissions by the parties was not part of the appeal records in the cases on which the Court of Appeal relied, at para. 14 of its reasons, to justify its refusal to re‑examine the delays in this case. Although a court is not bound by admissions of law, a joint statement may be useful on appeal and may help reduce the delays leading to the infringement alleged by an accused (see, e.g., R. v. Bryant, 2021 QCCA 1807, at para. 3). The evidence in the record shows that the respondents directly caused most of the delays of which they complain and that they attempted to derail the trial by filing multiple applications, motions and interlocutory appeals, which were unsuccessful for the most part. These delays are largely but not exclusively attributable to the defence and must be subtracted from the total delay. The respondents also caused additional delays by insisting that a certain lawyer represent them despite a clear conflict of interest. In 2011, the preliminary inquiry judge found that Mélanie and Dax Ste‑Marie could not be represented by the same lawyer. As a result, they represented themselves. Despite the conflict of interest, they continued to insist that the lawyer retained by their father, Michel Ste‑Marie, represent all three of them. They maintained that position for more than two years. That course of conduct was of course untenable and caused additional delay. We reach the same conclusion with respect to Richard Felx. Although the conflict of interest did not directly involve him, he never expressed concern about the delays caused by his co‑accused. Moreover, the prosecution offered him his own preliminary inquiry several times, but he always refused. Jordan reaffirmed the principle, which is applicable in this case, that the defence should not be allowed to benefit from its own delay‑causing conduct or from its tactics aimed at causing delay (paras. 60 and 63; see Morin, at p. 802; R. v. Askov, [1990] 2 S.C.R. 1199, at pp. 1227‑28). The appellant argues that once the deductions are made, the net delay is 35 months at the most (A.F., at para. 41). The respondents Mélanie Ste‑Marie, Dax Ste‑Marie and Richard Felx refer to this same calculation in their factum (R.F., at para. 37). Assuming for the sake of argument that the residual delay exceeds the ceiling set in Jordan, the presumption of unreasonableness may be rebutted on the basis of the transitional exceptional circumstance (Jordan, at paras. 96‑97). The transitional exceptional circumstance may apply where it is shown that “the time the case has taken is justified based on the parties’ reasonable reliance on the law as it previously existed” (R. v. Cody, 2017 SCC 31, [2017] 1 S.C.R. 659, at para. 68). In R. v. Rice, 2018 QCCA 198, at para. 202 (CanLII), Vauclair J.A. noted that, for this purpose, the court may examine the conduct of the accused: [translation] “[t]he absence of haste is an indicator of the lack of concern the accused has for delays and may be helpful in assessing prejudice”. This is in line with the factual determination made by the trial judge in this case, who found that the prejudice complained of by the respondents did not result from delay. In this situation, in light of the transitional exceptional circumstance identified in Jordan, it should be concluded that s. 11(b) of the Charter was not infringed and that the trial judge was right to dismiss the motions for a stay of proceedings. For these reasons, we would allow the appeal, set aside the stay of proceedings and remand the case to a new panel of the Quebec Court of Appeal for consideration of the other grounds of appeal that remain outstanding. |