Référence : 2006CCI689
Date : 20061219
Dossier : 2005-4395(EI)
ENTRE :
2747-7173 QUÉBEC INC.,
appelante,
et
LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,
intimé,
et
PIOTR KOWALCZYK,
RICHARD CHALUT,
intervenants.
MOTIFS DU JUGEMENT
La juge Lamarre Proulx
[1] Il s’agit d’un appel des cotisations
établies par le ministre du Revenu national (le « Ministre »),
en vertu de la Loi sur l’assurance-emploi (la « Loi »),
pour chacune des années 2000 et 2001. Les avis de cotisation ont été déposés
comme pièce A-3.
[2] Pour bien comprendre le litige, il faut
d’abord se rapporter au Règlement sur la rémunération assurable et la
perception des cotisations (le « Règlement »). Ce
règlement a été modifié le 13 avril 2000. C’est à partir de cette date que
l’appelante conteste les cotisations du Ministre. Donc, je ne m’occuperai que
du texte actuel de la disposition pertinente soit les alinéas 2(3)a)
et (a.1) du Règlement.
[3] Ces dispositions de
la Loi se lisent comme
suit :
2(1) Pour l’application de la définition de
« rémunération assurable » au paragraphe 2(1) de la Loi et pour
l’application du présent règlement, le total de la rémunération d’un assuré
provenant de tout emploi assurable correspond au montant total, entièrement ou
partiellement en espèces, que l’assuré reçoit ou dont il bénéficie et qui lui
est versé par l’employeur à l’égard de cet emploi.
….
2(3) Pour l’application des paragraphes (1)
et (2), sont exclus de la rémunération :
a) la somme
représentant la valeur de la pension, du logement et autres avantages qu’une
personne a reçus ou dont elle a joui au cours d’une période de paie au titre de
son emploi, si l’employeur ne lui verse aucune rétribution en espèces pour
cette période;
a.1) tout somme
qui est exclue du revenu en vertu des alinéas 6(1)a) ou b) des
paragraphes 6(6) ou (16) de la Loi de l’impôt sur le revenu;
[4] L’alinéa a.1) met en cause certaines
dispositions de l’article 6 de la Loi de l’impôt sur le revenu.
Dans le cas sous étude, c’est le sous‑alinéa 6(1)b)(vii) de la
Loi de l’impôt sur le revenu qui est la source du litige. Il se lit
comme suit :
6(1) Éléments à
inclure à titre de revenu tiré d'une charge ou d'un emploi -- Sont à inclure dans le calcul du revenu d'un contribuable tiré,
pour une année d'imposition, d'une charge ou d'un emploi, ceux des éléments
suivants qui sont applicables :
b) Frais
personnels ou de subsistance — les sommes qu'il a reçues au cours de
l'année à titre d'allocations pour frais personnels ou de subsistance ou à
titre d'allocations à toute autre fin, sauf :
...
(vii) les allocations raisonnables pour frais de
déplacement, à l'exception des allocations pour l'usage d'un véhicule à moteur,
qu'un employé — dont l'emploi n'est pas lié à la vente de biens ou à la
négociation de contrats pour son employeur — a reçues de son employeur
pour voyager, dans l'accomplissement des fonctions de sa charge ou de son
emploi, à l'extérieur :
(A) de la municipalité où était situé l'établissement de l'employeur
dans lequel l'employé travaillait habituellement ou auquel il adressait
ordinairement ses rapports,
(B) en outre, le cas échéant, de la région métropolitaine où était
situé cet établissement,
[5] La question en
litige telle que présentée par les parties est de savoir si les sommes d’argent payées aux camionneurs
de l’entreprise à titre d’allocations pour frais de déplacement sont des
allocations raisonnables au sens du sous‑alinéa 6(1)b)(vii)
de la Loi de l’impôt sur le revenu? Si elles sont raisonnables, elles
seraient exclues de la rémunération assurable. Nous verrons plus tard que la
preuve a révélé qu’il ne s’agissait pas de la question véritable à se poser. La
question à se poser est de savoir si en fait, il s'agit d'allocations au sens
de la Loi de l'impôt sur le revenu.
[6] L’appelante est une compagnie de transport
qui effectue des voyages de longue distance à travers les États‑Unis dont
notamment la Caroline du Nord, le Nevada et à travers le Canada.
[7] L’appelante a engagé entre 130 à 200 chauffeurs
à temps plein et à temps partiel pendant les années en litige.
[8] Au cours de l’audience, il a été difficile
de comprendre le mode de calcul de l’allocation pour frais de déplacement. On
parlait d’un montant qui équivalait à 19% de la rémunération brute. Ce qui
semblait impliquer un montant additionnel à la rémunération brute. De plus, la
description des éléments pris en compte pour le calcul de la rémunération brute
a été confuse tout au long de l’audition.
[9] Or, l’examen des pièces et particulièrement
les pièces A‑7 et A‑9, révèle que le 19% dont on parlait n’est
qu’une répartition proportionnelle de la rémunération brute totale. Ceci
devient clair quand on examine la pièce A‑9 qui est un état de
salaire d’un employé. On y lit que la paie brute est de 1 012,53 $. C'est
ce montant qui est réparti en deux montants, soit un montant exempté qui est de
192,38 $ et un montant régulier qui est de 820,15 $. Cette
répartition est celle expliquée à l’article 8.1 du Guide des employés, pièce
A-7.
[10] Cet article du Guide des employés se lit ainsi :
8.1 Revenu brut imposable et non‑imposable
Le revenu brut des chauffeurs longue distance est réparti en deux
revenus. Le premier revenu est imposable et correspond à 81% de votre revenu
total brut. L'autre revenu, i.e. 19% du revenu brut, est non imposable
puisqu'il s'agit du montant alloué à titre de remboursement de dépenses.
[11] L’appelante soumet que le montant de 19%
constituait un remboursement de dépenses reliées aux repas, douches et autres
dépenses. Toutefois, il est à noter que rien de tel n’est inscrit à
l’annexe 14 du Guide des employés.
[12] Cette annexe énumère
les éléments qui sont pris en
compte pour l’établissement de la rémunération. Elle est divisée en deux
parties, l’une concerne les différents taux au mille parcouru, l’autre concerne
les autres rémunérations et avantages sociaux, soit : le bonus de millage,
le bonus de sécurité, les prix accordés aux cueillettes et livraisons, le
coucher, les heures d’attente, le « turn around », la manutention
manuelle, le changement de remorque, le bris d’équipement, l’uniforme et
l’assurance collective. Chacun de ces éléments est plus abondamment décrit à
l’article 8 du Guide.
[13] On ne trouve à cette
annexe aucun montant ou mode
de calcul spécifique pour les repas ou autres dépenses afférentes aux déplacements.
Il n’y a que l’article 8.1 ci‑dessus qui prévoit une répartition du
revenu en un revenu imposable et un revenu non imposable.
[14] Selon la preuve, cette
répartition de 19% s’est faite d’une façon plutôt approximative. Au début, la
proportion était de 25% mais l’appelante a pensé que les vérificateurs du Ministre
trouvaient la proportion trop élevée, alors l’appelante l’a ramenée à 19%.
[15] En ce qui concerne
les éléments compris dans la rémunération brute totale prise en compte pour la
répartition, tel que mentionné précédemment, il n’y a eu aucune certitude à
leur égard au cours de l’audience. Si je me fie à la pièce A‑9 et je
n’ai aucune raison de croire qu’elle ne représente pas les faits réels, la
rémunération brute totale répartie est celle qui comprend tous les éléments
décrits à l’annexe 14 du Guide des employés : des éléments divers qui
ont trait en général à la rémunération et non spécifiquement aux frais de
déplacement.
[16] Une répartition proportionnelle du revenu
brut total est-elle de la nature d’une allocation pour frais de déplacement?
[17] Je ne connais aucune
décision de Cour acceptant ou décrivant une telle proposition. À la lecture des
jugements, l’allocation pour frais de déplacement est toujours un montant
additionnel à la rémunération et cette allocation est calculée sur la base de
critères objectifs pertinents comme par exemple, les jours d’absence du lieu de
résidence habituel de l’employé ou comme dans le cas de la décision du
juge Tardif de cette Cour dans Transport Baie-Comeau Inc. c. Canada,
[2006] A.C.I. no 155 (QL), dans certaines circonstances, sur
les kilomètres parcourus.
[18] Je cite à cet égard
le paragraphe 6 de ce jugement :
6 En
même temps, il fut décidé et accepté par les chauffeurs que l'appelante ne
rembourserait plus les frais de repas et de logement. Au lieu de l'ancien
système, l'appelante a commencé à payer une allocation de logement de quatre
cents le kilomètre pour ceux qui effectuaient les longs trajets et de trois
cents, pour les trajets à moyenne distance.
...
[19] En ce qui concerne le sens à
donner au mot « allocation », je cite le paragraphe 29 de ce
même jugement :
29 Quant
au terme « allocation », la jurisprudence, notamment dans l'affaire Gagnon
c. La Reine, [1986] 1 R.C.S. 264, énumère les critères permettant
de la définir. Ces critères sont les suivants :
− La somme doit être limitée et
déterminée à l'avance.
− La somme
doit être versée afin de permettre à celui qui la reçoit de faire face à un
certain type de dépenses.
− Cette somme
doit être à l'entière disposition de celui qui la touche sans qu'il ait de
comptes à rendre à personne.
[20] Je me réfère également
au jugement de la Cour d’appel fédérale dans MacDonald c. Canada, [1994]
A.C.F. no 378 (QL), aux paragraphes 9, 10 et 11 :
9 Je
suis d'accord avec la définition que le juge Noël donne du terme « allocation »
que l'on trouve à l'alinéa 6(1)b). Une allocation est une somme
arbitraire en ce sens qu'une allocation n'est pas normalement destinée à
couvrir une dépense spécifique. La somme peut être arbitraire même si elle est
conçue en gros pour répondre aux attentes de l'employeur en ce qui concerne
l'importance de la dépense ou la proportion de la dépense que l'employeur est
prêt à supporter. En d'autres termes, le montant de l'allocation est déterminé
à l'avance sans tenir compte du montant exact d'une dépense ou d'un coût
effectivement engagés, bien que le chiffre puisse être fixé en fonction d'une
prévision ou d'une moyenne de la dépense ou du coût en question.
10 Le juge Pratte de notre Cour a proposé une
autre excellente définition de l'allocation dans l'arrêt La Reine c. Pascoe,
(1975), 75 DTC 5427, à la page 5428 :
Selon nous, une allocation est une somme d'argent
limitée et déterminée à l'avance, versée afin de permettre à celui qui la
reçoit de faire face à certains types de dépenses; sa quotité est établie à
l'avance et celui qui la touche en a la libre disposition, sans comptes à
rendre à personne. Un versement effectué pour satisfaire à une obligation
d'indemniser ou de rembourser quelqu'un ou de le défrayer de dépenses
réellement engagées n'est pas une allocation; il ne s'agit pas en effet d'une
somme susceptible d'être affectée par celui qui la touche, à sa discrétion, à
certains types de dépenses.
11 Une explication
similaire a été exposée par E.C. Harris dans Canadian Income Taxation (4e éd.
1985) à la page 108 :
[TRADUCTION] Une « allocation » est une
somme approximative qui est versée à un employé pour lui permettre de faire
face aux dépenses qu'il engagera au nom de son employeur, comme les frais de
déplacement et les frais de représentation. L'employé n'est pas tenu de rendre
compte par la suite à son employeur de ce qu'il a effectivement dépensé. Si
l'employé rend compte à son employeur des dépenses qu'il a effectivement engagées,
ni l'avance initiale que lui a remise son employeur ni le paiement subséquent
que lui fait l'employeur pour le rembourser de ses dépenses ne constitue une « allocation ».
Les risques d'abus sont plus élevés en matière d'allocations : comme
l'employé n'a pas à rendre compte de l'allocation, il est possible de lui
verser une rémunération cachée sous forme d'allocations élevées. D'où la règle
générale suivant laquelle les allocations font partie du revenu d'emploi.
[21] Je me permets de citer
le paragraphe 40 du Bulletin d’interprétation IT‑522R, car à mon sens,
il décrit bien la compréhension juridique que l’on doit avoir d’une allocation
pour frais de déplacement :
Allocation pour frais de
déplacement – Généralités
40. Dans ce bulletin, le terme
« allocation » signifie tout paiement périodique ou autre que
l'employé reçoit de son employeur, en plus de son traitement ou salaire, sans
avoir à en justifier l'emploi. L'allocation peut être calculée en fonction de
la distance ou du temps (p. ex., une allocation pour frais de véhicule à moteur
reposant sur la distance parcourue ou une allocation pour frais de déplacement
reposant sur le nombre de jours passés à l'extérieur) ou selon tout autre
critère. Une allocation est imposable à moins de faire partie des exceptions
énumérées aux sous-alinéas 6(1)b)(i) à (ix) ...
[22] L’allocation pour
frais de déplacement est un montant déterminé ou déterminable en fonction de
critères objectifs pertinents, qui s’ajoute à la rémunération d’un employé et
qui a pour but, de permettre à ce dernier d'assumer ses frais de déplacement. Je
suis donc d’avis que la répartition proportionnelle du revenu brut total d'emploi
telle que faite par l’appelante n’est pas de la nature d’une allocation pour
frais de déplacement au sens de cette expression dans la Loi.
[23] Même, si cette
répartition était une allocation pour frais de déplacement, je suis d’avis
qu’elle n’est pas raisonnable parce qu’elle est calculée sur des critères qui,
pour la plupart d’entre eux, n’ont rien à voir avec les frais de déplacement à
l’extérieur du lieu où est situé l’établissement de l’employeur.
[24] L'appel est en conséquence
rejeté.
Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de décembre
2006.
« Louise Lamarre Proulx »