Dossier : IMM-6690-24
Référence : 2025 CF 855
Ottawa (Ontario), le 9 mai 2025
En présence de l'honorable juge Régimbald
ENTRE : |
BALWINDER PAL
KULWINDER KAUR |
demandeurs |
et |
LE MINISTRE DE L’IMMIGRATION, DES RÉFUGIÉS ET DE LA CITOYENNETÉ |
défendeur |
JUGEMENT ET MOTIFS
I. Contexte
[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] rendue le 22 mars 2024 [la Décision], statuant qu’ils n’ont pas la qualité de réfugié, ni de personne à protéger, au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR], puisqu’ils bénéficient d’une possibilité de refuge intérieur [PRI] à Delhi et Mumbai.
[2] Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Compte tenu des conclusions de la SAR, de la preuve qui lui a été présentée et du droit applicable, je ne vois aucune raison d’infirmer la Décision. Les motifs de la SAR possèdent les qualités qui rendent son raisonnement logique et cohérent eu égard aux contraintes juridiques et factuelles pertinentes. Il n’existe donc aucun motif justifiant l’intervention de la Cour.
II. Faits
[3] Les demandeurs sont citoyens de l’Inde et sont venus au Canada parce qu’ils craignent la persécution aux mains de membres de la communauté sikhe de leur village au Pendjab.
[4] Notamment, ils ont été ciblés parce que la demanderesse associée était membre du conseil du village et s’est opposée à un projet initié par la Gurdwara visant à bloquer ou dévier un cours d’eau traversant leur village. Les demandeurs étant de confession hindoue, et la demanderesse associée étant aussi de la caste inférieure Ad-Dharma, ils craignent la police qui agit pour le compte du président de la Gurdwara.
[5] Tant la Section de la protection des réfugiés que la SAR ont rejeté leur demande au motif qu’ils ont une PRI en Inde, dans les villes de Delhi et de Mumbai.
III. Question en litige
[6] La présente demande de contrôle judiciaire soulève une seule question : est-ce que la décision de la SAR selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés puisqu’ils ont une PRI à Delhi ou Mumbai est raisonnable?
[7] La norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. Ainsi, selon cette norme, il incombe à la partie qui conteste la décision d’en démontrer le caractère déraisonnable (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100) [Vavilov].
IV. Analyse
[8] Un test à deux volets détermine la viabilité d’une PRI (Rasaratnam c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1992] 1 CF 706 à 711, 1991 CanLII 13517 (CAF); Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l'Immigration), [1994] 1 CF 589, 1993 CanLII 3011 (CAF) à 592). Le premier critère consiste à déterminer si un demandeur d’asile serait exposé à une possibilité sérieuse de persécution en vertu de l’article 96 ou à un risque de préjudice en vertu du paragraphe 97(1) de la LIPR dans le cadre de la PRI proposée. Dans le cadre de ce critère, on tient compte des « moyens »
et de la « motivation »
de l’agent de persécution pour localiser le demandeur d'asile dans la PRI proposée (Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CF 996 au para 8 [Singh 2023]; Adeleye c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2022 CF 81 au para 21 [Adeleye]). Le deuxième volet consiste à déterminer s’il serait raisonnable, dans toutes les circonstances, de s’attendre à ce que le demandeur d’asile se réfugie dans la PRI (Singh 2023 au para 10; Olusola c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 799 au para 8 [Olusola]). Le seuil pour établir le caractère déraisonnable est très élevé, exigeant « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d'un revendicateur tentant de se relocaliser temporairement en lieu sûr »
(Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 FC 164, 2000 CanLII 16789 (CAF) au para 15). Une fois qu’une PRI est proposée, il incombe au demandeur de prouver qu’il ne dispose pas d’une PRI viable (Adeleye au para 20; Olusola au para 9).
[9] Les demandeurs soumettent que la SAR a erré en omettant de renverser le fardeau de la preuve au sujet de la possibilité de refuge intérieur lorsque l’agent de persécution est étatique (Li c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 811 au para 27 [Li]). Ainsi, la SAR devait démontrer que les actions prises par la police étaient extrajudiciaires et qu’il ne serait pas possible de retrouver les demandeurs dans les villes proposées par la PRI, ce que la SAR n’a pas fait.
[10] Les demandeurs allèguent aussi que la SAR a omis de procéder à une évaluation de la disponibilité de la protection de l’État. Ainsi, bien que l’Inde soit considérée comme une démocratie de type parlementaire, elle fait néanmoins face à des problèmes de corruption bien documentés. Par conséquent, la SAR a omis de procéder à l’appréciation de toute la preuve devant elle, qui démontre que l’État ne peut protéger les demandeurs nulle part dans le pays.
[11] Enfin, lors de leur plaidoirie orale, les demandeurs ont soumis que la décision de la SAR quant au deuxième volet pour déterminer la viabilité d’une PRI était déraisonnable, notamment en raison de motifs religieux et politiques.
[12] Je rejette les arguments des demandeurs.
[13] D’abord, bien que des agents de police soient parmi les agents de persécutions, il demeure que la SAR a examiné la preuve et déterminé que les agents de persécution n’avaient pas la motivation ni la capacité de rechercher les demandeurs partout en Inde. Les demandeurs ne présentent aucun argument spécifique afin de contester cette conclusion de fait.
[14] Ensuite, notre Cour a statué à de nombreuses reprises que le fait que des agents de police fassent partie des agents de persécution en Inde ne peut être assimilé au fait que l’agent de persécution soit l’État lui-même. Par exemple, les bases de données des policiers ne sont pas nécessairement accessibles à d’autres corps de police dans d’autres États en Inde et il y a peu de communications policières interétatiques (à l’exception des crimes majeurs). De plus, la loi interdit à la police d’utiliser les données de la carte Aadhaar. Enfin, les demandeurs ne font pas l’objet d’une enquête officielle en Inde, et donc leurs informations ne seraient pas contenues dans la base de données Crime and Criminal Tracking Network and Systems (voir par exemple Singh v Canada (Citizenship and Immigration), 2025 FC 459 au para 17 [Singh 2025]; Chatrath v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 958 au para 32; Bassi v Canada (Citizenship and Immigration), 2024 FC 910 aux para 23–24; Sandhu c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2024 FC 262 aux para 17, 21–22; Singh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 FC 1758 aux para 30-31).
[15] En l’espèce, la police du Pendjab n’a pas un pouvoir quelconque dans les PRI proposées. Il ne s’agit pas en l’instance d’une situation où les PRI sont contrôlées par l’agent persécuteur, comme dans les affaires Li ou Sharbdeen c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1994), 23 Imm. L.R. 300 (CAF). Les arguments des demandeurs à l’effet que l’État est l’agent persécuteur et que l’Inde ne peut protéger les demandeurs nulle part dans le pays doivent donc être rejetés.
[16] Enfin, quant au deuxième volet de la viabilité des PRI proposées, la SAR a raisonnablement évalué la preuve et aucune preuve concrète ne démontre que les demandeurs n’y seraient pas en sécurité.
[17] Les demandeurs demandent essentiellement à la Cour de repondérer les éléments de preuve déposée devant la SAR et d’y substituer sa propre appréciation concernant la capacité de la police du Pendjab à les localiser dans les PRI proposées. La Cour ne peut accepter cette invitation dans le cadre d’un contrôle judiciaire en l’absence de circonstances exceptionnelles, ce qui n’est pas le cas en l’espèce (Vavilov au para 125; Singh 2025 au para 17).
V. Conclusion
[18] La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Il n’y a aucune question à certifier.