Dossier : IMM-1072-24
Référence : 2025 CF 423
Ottawa (Ontario), le 6 mars 2025
En présence de l’honorable juge Roy
ENTRE :
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EMERSON JESUA PEREZ RODRIGUEZ
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demandeur
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et
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LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION
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défendeur
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JUGEMENT ET MOTIFS
[1] Le demandeur, Emerson Jesua Perez Rodriguez, est un citoyen mexicain qui conteste sur contrôle judiciaire la décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] qui lui a refusé le statut de réfugié ou de personne à protéger parce qu’il bénéficie dans son pays de nationalité d’une possibilité de refuge intérieur [PRI]. Sa demande de contrôle judiciaire a été autorisée en vertu de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].
I. Les faits
[2] Les faits dans cette affaire sont simples et ils ressortent du fondement de la demande d’asile [FDA].
[3] Le demandeur est originaire de l’État de Veracruz. Il est au début de la trentaine. Il dit que ses frères demeurent au Texas.
[4] Au printemps 2016, le demandeur a cru pouvoir améliorer sa qualité de vie en se rendant aux États-Unis. Il dit s’être rendu à une ville frontalière avec les États-Unis où des passeurs lui ont fait traverser le Rio Grande le 12 juin 2016.
[5] Arrivé du côté américain, il aurait été amené dans un endroit sécuritaire où il serait demeuré pendant quelques jours. Il devait par la suite être conduit à San Antonio mais, en chemin, le véhicule a été intercepté.
[6] Cela a résulté en une détention au Texas qui s’est soldée par une expulsion le 2 décembre 2016. Ce serait durant cette détention que le demandeur aurait divulgué l’identité des personnes aux autorités américaines.
[7] À la suite de sa déportation le demandeur aurait été avisé par ses parents de ne pas retourner à l’endroit d’où il était parti au Mexique puisque des personnes liées aux passeurs auraient été à sa recherche. Ceux-ci seraient liés au Cartel Los Zetas. C’est ainsi que le demandeur n’est pas retourné chez lui; il est plutôt allé demeurer chez une tante.
[8] Trois mois plus tard, le 20 mars 2017, il se rendait par avion à Montréal. Le 26 novembre 2017, il traversait illégalement la frontière entre le Canada et les États-Unis en vue de rejoindre ses frères au Texas. Il a passé trois ans et demi aux États-Unis sans avoir de statut.
[9] Réalisant que sa déportation en décembre 2016 pourrait limiter ses chances de pouvoir régulariser son statut aux États-Unis, il a choisi de revenir illégalement au Canada. Il est arrivé le 8 mai 2021. Il dit qu’entre mai et octobre 2021, il a cherché un moyen de rester au Canada, avant de réaliser qu’il pouvait faire une demande d’asile. Il disait toujours craindre les passeurs cinq ans plus tard parce que ceux-ci continueraient de se présenter chez ses parents. Le FDA présente la date du 11 janvier 2022.
II. Les décideurs administratifs
[10] La SAR a emboîté le pas à la Section de la protection des réfugiés [SPR] qui avait disposé de la demande d’asile sur la base de la disponibilité d’une PRI au Mexique.
[11] Constatant que l’article 96 ne trouve aucune application, la SAR s’en remet à l’article 97 de la LIPR au sujet de personnes en recherche de protection, comme l’avait fait la SPR.
[12] La SAR a considéré incohérent le récit fait par le demandeur relatif aux allégations du déménagement de ses parents à la suite des visites par les personnes liées aux passeurs. Les incohérences notées auraient pu être contrebalancés si une certaine corroboration avait été offerte. Il n’y a en avait aucune.
[13] La présentation tardive de la demande d’asile du demandeur est aussi retenue contre lui. Essentiellement, il a attendu cinq ans avant de la faire. L’attente d’une si longue période n’a pas été expliquée convenablement. Il en résulte que les allégations de mesures de représailles par Los Zetas sont déficientes au plan de la crédibilité.
[14] Finalement, en tout état de cause, le demandeur bénéficie d’une PRI. Celle-ci comporte deux éléments. D’abord, un demandeur doit craindre avec raison d’être persécuté là où il pourrait trouver refuge dans son pays de nationalité. Si c’est le cas, une PRI ne résisterait pas à l’analyse. Ensuite ce lieu doit être raisonnable au sens de la jurisprudence.
[15] La SAR conclut que la seule « possibilité sérieuse » d’être persécuté ne saurait suffire, alors que cette norme est inférieure à la prépondérance des probabilités pour les cas visés par l’article 97 relatif aux personnes à protégées. Quoique Los Zetas ait les moyens de retrouver le demandeur au Mexique, c’est la motivation de ce faire qui manque. La SAR conclut qu’il n’y a pas d’éléments de preuve crédibles et fiables démontrant que Los Zetas aurait visité les parents du demandeur lorsque demeurant dans l’État de Veracruz pour leur proférer des menaces. Il n’y avait aucune preuve, ni même une allégation, que des menaces auraient été faites par quelqu’un ailleurs que dans l’État de Véracruz.
[16] Quant au volet relatif au caractère raisonnable des lieux identifiés pour une PRI, la barre est très haut selon la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale : la vie et la sécurité de la personne à relocaliser doivent être mises en péril au cours de la relocalisation. De toute manière, le demandeur n’avait soulevé devant la SPR aucune raison suffisante pour convaincre qu’il ne pouvait retourner au Mexique, soulignant plutôt qu’il devait alors se marier au Canada et que sa future épouse trouverait difficile d’aller vivre au Mexique. Cela ne saurait rencontrer le seuil requis.
[17] Ainsi, la SAR conclut à l’existence d’une PRI au Mexique.
III. Arguments et analyse
[18] Tout le monde convient que la norme de contrôle est celle de la décision raisonnable. Il n’y a rien d’étonnant là-dessus. Par ailleurs, cela porte à conséquence puisque la norme de la décision raisonnable emporte déférence relativement à la décision sous étude alors que la cour de révision doit faire preuve de retenue judiciaire et adopter une attitude de respect à l’égard du tribunal administratif (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] 4 RCS 653 [Vavilov], aux para 85, 13, 14).
[19] Essentiellement, le demandeur répète devant la cour de révision ce qu’il a présenté sans succès devant les tribunaux administratifs. C’est court, trop court. Il eut fallu une démonstration que les caractéristiques de la décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée en regard des contraintes juridiques et factuelles, ne sont pas rencontrées. Il faut pour cela démontrer des lacunes graves qui relèvent du manque de logique interne du raisonnement ou il est démontré que la décision est indéfendable sous certains rapports (Vavilov, aux para 99 à 101). À l’évidence, le simple désaccord ne peut suffire et, de toute façon, la cour de révision ne se prononce pas sur le mérite de l’affaire (Vavilov, au para 125).
[20] Au mieux, le demandeur répète que sa crédibilité n’aurait pas dû être entachée par les versions différentes données devant la SPR sur les déménagements de ses parents au Mexique. Le défendeur a raison que trois versions divergentes de ce qui devrait être un récit simple sont offertes par le demandeur. Celui-ci n’a pas tort de concéder au paragraphe 20 de son mémoire des faits et du droit que son histoire manquait précision. De fait, elle était confuse.
[21] La crédibilité du demandeur est aussi affectée du fait qu’il a attendu plusieurs années avant de finalement faire une demande d’asile au Canada. On s’attend à ce qu’une menace sérieuse engendre une réaction diligente. Sans être déterminant le retard à faire une demande d’asile est un facteur à considérer (Zeah c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CF 711, au para 61). Il n’a pas été démontré en quoi l’incrédibilité des tribunaux administratifs n’avait pas les apanages d’une décision raisonnable. M. Perez Rodriguez traverse aux États-Unis avec l’aide de passeurs, est arrêté et déporté à son pays de nationalité. Il le quitte à nouveau pour arriver au Canada, avant de retourner aux États-Unis où il demeure pendant plus de 40 mois. Il traverse à nouveau la frontière canadienne et ne sait toujours pas, pendant six mois, que si sa situation est périlleuse au Mexique, un remède pourrait être une demande d’asile. Le demandeur n’a pas démontré en quoi l’incrédibilité n’était pas justifiée et que, donc, sa crédibilité en était affectée.
[22] Mais il y a plus. La SAR a choisi de considérer la preuve en mettant de côté la crédibilité chancelante eu égard aux menaces faites aux parents (qui n’ont pas témoigné). La SAR constate alors que les seules menaces alléguées auraient été perpétuées à Veracruz aux parents du demandeur. Aucune indication n’est donnée qu’ils auraient même été importunés ailleurs au Mexique. De fait, le demandeur n’a référé qu’à une seule personne qui aurait proféré des menaces, pas un groupe, qu’il ne peut d’ailleurs identifier (décision de la SAR, para 32). Cela fait dire à la SAR :
[33] Il n’y avait pas d’élément de preuve ni même d’allégation établissant que les Zetas ont recherché les parents de M. PR chez la grand-mère de ce dernier dans l’État de San Luis Potosí, après que ceux-ci s’y soient installés, pour continuer de chercher M. PR ou pour menacer ses parents dans le but de parvenir jusqu’à lui. La nature de la prétendue menace proférée par la personne qui a communiqué avec les parents de M. PR en décembre 2020 n’est pas claire, et aucun élément de preuve de la part de ceux-ci n’a été présenté pour corroborer les menaces ou pour fournir plus de détails au sujet de ces menaces. Il n’y avait pas non plus d’allégation ni d’élément de preuve montrant que les Zetas auraient pourchassé M. PR après que le centre de détention lui a accordé sa mise en liberté en décembre 2016 ou après son expulsion vers le Mexique, où il a vécu avec sa tante pendant environ quatre mois.
Sans aucune preuve de menaces ailleurs qu’à Veracruz, il est raisonnable de se questionner sur la possibilité d’un refuge intérieur dans un pays comptant 130 millions d’habitants, et de conclure qu’elle existe. Le demandeur devait établir que tel n’est pas le cas. Il n’a pas réussi.
[23] Quoi qu’il en soit, l’analyse de la SAR pour ce qui est de la PRI n’a pas non plus été démontrée comme étant déraisonnable par le demandeur qui en supporte le fardeau. Le seul élément sur lequel le demandeur revient est celui de la motivation de Los Zetas de retrouver le demandeur au lieu de la PRI. Pour l’essentiel, le demandeur soutient que la motivation « ne saurait diminuer avec le temps »
(factum, para 39). Cette affirmation est étonnante. Comme il a été dit, on ne laisse pas le sens commun à la porte d’une salle d’audience (R c Barton, 2019 CSC 33, [2019] 2 RCS 579, au para 154) sans pour autant bien sûr tomber dans des hypothèses logiques infondées, ou encore se réfugier dans des mythes et stéréotypes (R c Kruk, 2024 CSC 7). L’expérience humaine continue de compter (R c Calnen, 2019 CSC 6, [2019] 1 RCS 301; R c Villaroman, 2016 CSC 33, [2016] 1 RCS 1000). En l’espèce, la preuve ne démontrait pas une motivation sérieuse de retracer le demandeur ailleurs qu’à Veracruz. Et encore, cette motivation pour ce qui est de Veracruz apparaît comme bien éphémère et certainement pas exercée avec quelle que consistance. De toute manière, c’était au demandeur de satisfaire la Cour que la décision n’avait pas les apanages de la raisonnabilité. Le fardeau n’est pas renversé pour forcer le défendeur à justifier la décision comme si, de façon tactique, il y avait de la part du demandeur une preuve prima facie d’une certaine force probante qui entraînerait une forme d’obligation chez le décideur administratif.
[24] Tout compte fait, un fait me semble clair. Le demandeur ne conteste en aucune manière que des menaces, s’il y en a eu, ont toujours été proférées à Veracruz, loin d’une PRI évoquée. Le défendeur a raison qu’il n’existe aucune preuve selon laquelle ce demandeur aurait fait l’objet de recherche ailleurs qu’à son lieu de domicile en 2016. Il en résulte que le demandeur n’a pas démontré en quoi la décision sous étude constatant l’existence d’une PRI pourrait être déraisonnable.
[25] La demande d’asile doit donc être rejetée. Il n’y a pas de question à certifier en vertu de l’article 74 de la LIPR.