FOURNIER, J.:—Dans cette affaire, il s’agit d’un appel d’une décision rendue le 19 janvier 1954 par la Commission d’Appel de l’impôt sur le revenu, accueillant l’appel de l’intimée, La Société Coopérative de la Vallée d’Yamaska, de cotisations d’impôt sur le revenu pour les années d’imposition 1947, 1948 et 1949.
La Commission d’Appel de l’impôt sur le revenu a maintenu l’appel de l’intimée et a ordonné à l’appelant d’amender l’avis de cotisation quant à chacune des années d’imposition 1947, 1948 et 1949, afin que les sommes créditées par l’intimée au fonds de “Réserve-planteurs” et l’intérêt payé sur la dite réserve soient accordés en déduction du revenu de l’intimée pour ces années.
L’intimée est une corporation régie par la Loi des coopératives agricoles de la province de Québec, S.R.Q. 1941, ce. 120, et amendements, et elle se conforme aux dispositions de cette loi dans l’exécution de ses fonctions, devoirs et obligations.
La Société se compose d’au moins vingt-cinq personnes qui ont signé une déclaration à l’effet qu’elles sont devenues membres d’une société agricole à responsabilité limitée; son capital est constitué d’actions qui ne peuvent être émises qu’à ses membres, ceux-ci s’engageant à en faire l’acquisition. La Coopérative a été formée dans le but de promouvoir la culture du tabac et d’en retirer le plus haut prix possible du marché dans l’intérêt de ses membres planteurs. En vertu de la loi, elle doit exiger que les membres actionnaires s’engagent par contrat vis-à-vis leur coopérative agricole, pour une période d’au moins trois ans, à livrer, vendre ou acheter, par son entremise, certains produits déterminés, savoir, leur récolte de tabac. Elle doit aussi exiger le même engagement des producteurs affiliés.
L’alinéa (a) du paragraphe 1 de l’article 13 de la loi stipule ce qui suit :
“. . . Il (le bureau de direction) doit exiger que les producteurs actionnaires s’engagent par contrat vis-à-vis leur coopérative agricole, pour une période d’au moins trois années, à livrer, vendre ou acheter, par son entremise, certains produits déterminés. Il doit aussi exiger le même engagement des producteurs affiliés.”
Conformément à cette disposition de la loi, un contrat a été exécuté entre la Coopérative et ses membres par lequel chaque producteur actionnaire s’est engagé à livrer à cette dernière, pendant trois années consécutives, sa récolte de tabac; la Coopérative devra préparer et vendre ce tabac, les producteurs acceptant d’avance le prix à être fixé par l’intimée. Ce contrat se lit en partie comme suit :
. . * LA PARTIE DE DEUXIEME PART, monsieur . . . s’oblige et oblige tous les membres de sa famille dépendant de lui, sur sa ferme, ou sur toute autre ferme, qu’il détient à titre de propriétaire, locataire ou occupant, et s’engage de confier à la PARTIE DE PREMIERE PART, livrer en les entrepôts de cette dernière, chaque année, pendant TROIS ANNEES consécutives y compris celle de l’année courante, le tabac qu’elle récoltera ou aura récolté. Cette livraison devant être faite à la requisition de LA PARTIE DE PREMIERE PART, laquelle devra alors préparer, travailler, classifier et: vendre ce produit aux personnes ou compagnies, prix, clauses et conditions que son Bureau de Direction ou tout officier ou représentant autorisé d’icelui trouvera avantageux, sans que la PARTIE DE DEUXIEME PART puisse émettre objection ou opposition, acceptant d’avance le prix à lui être payé, lequel sera fixé par LA PARTIE DE PREMIERE PART ou tout représentant ou officier autorisé de par icelle.”
Selon la clause précitée du contrat, seul le bureau de direction de la Coopérative ou son représentant ou officier autorisé à l’entière discrétion de déterminer le prix auquel le tabac recu des producteurs sera vendu et aussi le prix à leur être payé. Par ailleurs, en vertu de la loi, seule l’assemblée générale des membres peut déterminer le montant des surplus d’opération et en effectuer la disposition. L’article 25(1) se lit ainsi:
25. L’assemblée générale, se basant sur ce compte rendu, détermine le montant des bénéfices dont elle fait la répartition.”
Je crois utile de considérer la procédure suivie par la Coopérative dans ses opérations et de résumer ce qui a été fait pendant l’année d’imposition 1947, comme illustration de ce qui a été fait pour les trois années qui nous intéressent.
Pendant cette année d’opération, l’intimée a reçu de ses membres la livraison du tabac provenant de la récolte de l’automne de 1946 et en a fait l’entreposage, le séchage et la classification. L’année financière de l’intimée commence le 1er novembre et se termine le 31 octobre de l’année suivante. C’est dire que l’année d’imposition 1947 a trait aux opérations concernant la récolte de 1946. Au printemps de 1947, l’intimée a communiqué avec des acheteurs éventuels afin de conclure avec ceux-cl des marchés pour la vente du tabac de ses membres. Après enquête, ayant une idée du prix que rapporterait la vente de la récolte de 1946 mais ne connaissant pas le montant exact des déboursés à encourir, le bureau de direction, le 28 avril 1947, a décidé de faire un ajustement et de payer un montant à ses membres pour le tabac reçu. La résolution se lit comme suit :
"‘Proposé par Eddy Paquette, secondé par Hervé Robert,.que le secrétaire fasse un ajustement de 37% sur la récolté 1946 et que chèque soit fait payable le 1er mai 1947 et envoyé à qui de droit. Adoptée.’’
Ce premier paiement était considéré comme versement (acompte ou avance) sur le prix à être fixé par la Coopérative. Vers la fin de l’exercice financier, l’intimée, connaissant le prix net de la récolte, détermina le montant du surplus de ses opérations et passa, le 6 octobre 1947, la résolution suivante:
‘* Proposé par Euclide Beaudry, secondé par J. Dollard Brisson que les surplus de la récolte 1946 soient portés au crédit du Fonds de réserve Planteurs au nom de chaque membre planteur et calculés au pourcentage et que la part des surplus appartenant aux non-membres sur la dite récolte soit payée immédiatement à la clôture de l’exercice financier. Adoptée.”
Le montant de $31,661.60, surplus des opérations de 1947, fut crédité par l’intimée au poste ‘‘ Réserve pour planteurs’’ au nom des membres planteurs, ainsi que la somme de $4,882.37 pour intérêt sur la dite réserve. Ces montants ne furent pas payés en argent aux membres, mais furent retenus par l’intimée pour le compte des membres et crédités et individualisés au nom de chacun des membres qui y avaient droit, de facon à constituer un fonds de roulement ou fonds d’opération. L’intimée tenait une comptabilité spéciale et le nom de chaque membre était inserit sur une feuille distincte sur laquelle apparaissaient les montants qui lui étaient crédités chaque année à la fin de son exercice financier, soit le ou vers le 31 octobre. Cette résolution et la procédure suivie indiquaient que l’intimée était débitrice envers ses membres-planteurs des sommes retenues dans la réserve pour planteurs’’. Quant aux transactions avec les non- membres, ces derniers recevaient paiement en espèces du prix fixé pour leur tabac.
La ‘‘réserve pour planteurs’’ constituait un fonds de roulement nécessaire aux opérations de réception, préparation et vente de leurs produits. Aucun montant fixe n’était établi, mais le montant de ce fonds était déterminé par les besoins des opérations. Il variait très peu d’année en année. La preuve m’a convaincu que, règle générale, à la fin de l’année financière de la Société, si le montant dépassait le chiffre jugé nécessaire à la continuation de ses activités, l’exédent, ou à peu de chose près, était distribué aux membres planteurs au prorata des montants crédités à leurs comptes respectifs à la ‘‘réserve pour planteurs’’. Pour l’année financière 1947, le surplus des opérations fixé à $31,661.60 fut approuvé par l’assemblée générale. Toutefois, le montant payé aux membres planteurs ne fut que le $30,455.61. Quant à l’année 1948, le surplus fut fixé à $9,720.06 et le montant payé $9,497.43 et pour l’année 1949, le surplus de $30,164.29 et le montant payé $31,527.48. Les montants payés furent établis de manière à ne pas diminuer le fonds de roulement ou d’opération.
Les sommes versées au fonds des planteurs et décrites aux comptes d’opérations de profits et pertes, à l’item frais de finances, comme ‘‘intérêt payé au fonds de réserve’’, provenaient des opérations des années financières qui nous intéressent. Elles étaient payées au fonds de roulement et créditées aux membres avant la fixation du montant du surplus des opérations.
Dans ses déclarations de revenu pour fins d’impôt, l’intimée a indiqué qu’elle n’avait aucun revenu imposable pour son année financière 1947, mais qu’elle en avait pour les années 1948 et 1949. L’appelant a cotisé comme revenus imposables les revenus provenant des opérations de l’intimée pour les trois années sous considération, sur la base de 3% de son capital employé. L’intimée a appelé de ces cotisations devant la Commission d’Appel de l’impôt sur le revenu, qui a accordé l’appel et a référé le tout à l’appelant, afin qu’il amende ses cotisations. C’est de cette décision que le Ministre du Revenu national interjette appel devant cette Cour.
Il ne semble pas y avoir de dispute quant aux montants des surplus d’opérations et aux montants versés aux membres actionnaires pour les années d’imposition qui nous intéressent. De plus, les montants versés à la réserve-planteurs à titre d’intérêts sont exacts.
Si nous prenons l’année 1947 comme exemple, il appert que le surplus des opérations, soit $31,661.60, a été crédité au poste reserve pour planteurs. L’appelant soumet que ce surplus est un revenu de l’intimée et qu’il n’est pas déductible pour fins d’impôt. Par contre, il admet que le montant de $30,455.61 versé par l’intimée à ses membres planteurs, qu’il considère comme répartition proportionnelle à l’apport commercial, est déductible. Quant au montant de $4,882.37 payé à titre d’intérêt à la réserve pour planteurs, il prétend qu’il ne peut être admis en déduction du revenue de cette année-là, parce que ce montant ne constitue pas un intérêt sur argent emprunté ou utilisé dans l’entreprise pour gagner le revenu. Par conséquent, il conelut que la différence entre $31,661, surplus d’opération, et $30,455.61, montant payé aux membres planteurs, soit $1,205.99, et le montant d’intérêt de $4,882.37 versé à la réserve-planteurs, formant un total de $6,088.36, sont des revenus imposables de l’intimée en vertu de la Loi de l’Impôt de guerre. Il applique le même raisonnement quant aux revenus de l’intimés pour les deux autres années sous étude, sauf que le revenu de l’année 1949 serait imposable en vertu de la Loi de l’Impôt sur le revenu, 1948.
D’autre part, l’intimée prétend que le surplus des opérations déposé à la réserve pour planteurs et crédité aux membres planteurs est un revenu de ces membres, qu’il n’est retenu que pour établir un fonds de roulement ou d’opération et que les montants versés aux membres planteurs, à l’expiration de l’année financière, n’étaient pas une répartition du surplus, mais une remise des montants appartenant aux membres, que ceux-ci avaient laissés au fonds de roulement ou d’opération et qu’ils retirent lorsqu'ils ne sont plus nécessaires aux opérations. Quant aux montants décrits comme intérêts, ce sont des sommes qui, si elles n ’étaient pas versées à la réserve pour planteurs sous cette appellation, seraient payées au fonds comme partie du surplus d’opération. Elle conclut que ces montants ne sont pas un revenu au sens de la loi.
Les parties ont admis que la question en litige est la même pour les trois années d’imposition.
La question à déterminer et de savoir si les montants crédités à la réserve pour planteurs, tant pour les surplus des opérations que pour les sommes décrites comme intérêts sur ces surplus, constituent un revenu de l’intimée ou des membres planteurs.
Dans le présent cas, il n’y a pas de doute qu’il s’agit d’une coopérative de producteurs. Par contrat, les membres actionnaires s’engagent à livrer chaque année à la Coopérative, pendant trois années consécutives, le tabac qu’ils récolteront ou auront récolté, La livraison devra se faire aux entrepôts de la Coopérative à sa réquisition. Elle devra alors préparer, travailler, classifier et vendre ce tabac aux prix et conditions que son bureau de direction trouvera avantageux. Dans le contrat, il n’est nullement question de vente de tabac par les membres ou d’achat de tabac par la Coopérative. Si elle n’en fait pas l’acquisition ou ne le reçoit pas comme don, elle ne peut le posséder que pour ceux qui le lui livrent. Elle Le reçoit donc comme mandataire, agent ou consignataire, et ce, aux conditions stipulées au contrat et aux décisions prises par le bureau de la Coopérative et approuvées par les membres en assemblée générale. Ceci n’implique pas que l’intimée n’a pas réalisé de profits ou gains, par suite de certaines de ses activités, qui peuvent être considérés comme revenus imposables. Elle a produit des déclarations de revenus imposables, pour lesquels elle a été cotisée. Nous n’avons pas à nous préoccuper des revenus imposables de l’intimée qui ont été déclarés, amendés ou cotisés et taxés et au sujet desquels il n’y a pas de débat.
Au moment de son incorporation, vers 1911, et par la suite, la Coopérative a émis des actions et en a vendu à ses membres planteurs, chaque membre ne pouvant souscrire et acquérir. plus d’un certain nombre maximum d’actions. Si j’ai bien compris la preuve et l’argument, les membres n’ont jamais touché de dividendes sur ces actions. Le capital souscrit et payé, tel qu’il appert aux bilans de 1947, 1948 et 1949, s’élève à une somme variant entre $33,000 et $34,000 et forme partie de son actif. Ce montant étant insuffisant pour opérer, il n’y a pas de doute qu’elle a dû emprunter pour exercer ses pouvoirs et remplir ses obligations. Elle a ensuite passé un contrat avec chacun de ses membres actionnaires lui permettant de se créer une réserve générale. Les paragraphes 11 et 12 du contrat se lisent comme suit :
11. Il est expressément convenu par les présentes que LA PARTIE DE DEUXIEME PART consent à ce que la PARTIE DE PREMIERE PART conserve et retienne une partie des profits provenant de la manipulation, préparation et vente de son produit, déduction faite du prix fixé à elle payé, cela dans le but de créer ou augmenter un fonds de réserve au profit de la Société Coopérative Agricole de la Vallée d’Ya- maska, afin de permettre sa subsistance et sa stabilité. LA PARTIE DE DEUXIEME PART consentant et acceptant que le pourcentage de cette ristourne soit fixé par le bureau de direction de la Société ou tout employé ou officier autorisé par icelle.
12. Lequel fonds de réserve sera réputé un actif propre de la Société de la Coopérative Agricole de la Vallée d’Yamaska, le tout conformément à l’article 25 Chap. 57 5S. R.Q. 1925. . .
Une réserve a donc été créée et augmentée au profit de la Coopérative, conformément aux dispositions de la loi et des paragraphes 11 et 12 du contrat. Cette réserve est devenue un actif propre de la Coopérative, qui s’en est servi pour acquérir des meubles, immeubles, camion, draineuse, outillage et tout ce qui était matériellement nécessaire à ses activités. De plus, elle s’est portée acquéreur d’actions de la Coopérative Fédérée de Québec et d’obligations du Gouvernement. L’actif de l’intimée a été ainsi constitué et a servi, avec les retenues annuelles, à couvrir les frais d’ opération de l’entreprise.
Je suis d’ opinion que le capital-actions et une réserve créée et augmentée dans le but de constituer l’actif propre d’une coopérative à responsabilité limitée et qui lui sert à faire des profits ou gains comme résultat de ses propres activités industrielles, commerciales, financières ou autres de même nature, commissions, etc., réalise un revenu imposable au sens de l’article 3 de la Loi de l’ impôt de guerre sur le revenu et de la Low de l’impôt sur le revenu.
Est-ce le cas qui se présente dans la question qui nous occupe? Ici, le litige est basé sur des faits, des chiffres et des bilans, et aussi sur des articles bien précis de la loi.
L’appelant base ses cotisations sur la proposition que les surplus des opérations de disposition des produits des membres planteurs et les montants décrits comme intérêts versés à la réserve pour planteurs, moins les montants payés aux membres planteurs, constituent un revenu imposable de l’intimée basé sur 3% de son capital employé. Se servant de cette formule, il établit le revenu imposable de l’intimée à $6,088.36 pour l’année 1947 et prélève un impôt de $1,521.26; pour l’année 1948, un revenue de $6,503.36 et un impôt de $1,891.61 ; pour l’année 1949, un revenu de $5,586.47 et un impôt de $745.38.
De plus, prenant pour acquis que ces montants sont des revenus imposables de l’intimé, il soutient qu’il faut appliquer, quant aux surplus, les dispositions des paragraphes 8 et 9 de l’article 5 de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu (1947) et, quant aux sommes décrites comme intérêt, l’alinéa (b) du paragraphe (1) du même article 5. Pour l’année 1949, il demande l’application des dispositions de l’article 68 et de l’article 11, paragraphe (1), alinéa (c), de la Loi de l’Impôt sur le revenu, 1948.
Va sans dire qui se j’en arrivais à la conclusion que les surplus d’opération et les intérêts versés à la réserve pour planteurs étaient un revenu imposable au sens de la loi, les articles ci-haut mentionnés, concernant les répartitions proportionnelles à l’apport et les intérêts, s’appliqueraient à ces montants. Dans le cas contraire, ils ne seraient pas considérés.
Les paragraphes 11 et 12 du contrat, concernant la création et l’augmentation d’une réserve qui formerait partie de l’actif de l’intimée, ont cessé d’opérer vers 1941. Ceci ressort de la preuve verbale. En étudiant les bilans ou rapports d’opérations de l’intimé pour les années 1947, 1948 et 1949, j’ai constaté que la réserve est bien mentionnée mais ne montre pas d’augmentation suffisante pouvant provenir du surplus d’opération pour me permettre de conclure que l’intimée continuait à augmenter sa réserve, c’est-à-dire son actif, au dépens du surplus d’opération. Comme question de fait, cette réserve se chiffrait ainsi: en 1946, à $45,857.27; en 1947, à $45,953.12; en 1948, à $46,085.30, et en ajoutant le trop-perçu de l’exercice et le revenu net d’une draineuse elle s’élève à $47,206; en 1949, à $46,943.80, et en y ajoutant le trop-perçu de l’exercice et le revenu net de la draineuse elle se chiffre à $48,162.93. Il semble done que l’augmentation de cette réserve provenait du revenu imposable de l’intimée et non du surplus d’opération. J’en suis arrivé à la conclusion que, dès avant 1946, le surplus d’opération avait cessé de servir de source d’alimentation pour cette réserve générale. De plus, l’actif de l’intimée est demeuré presque stationnaire pendant ces années.
Il semblerait que l’intimée ayant décidé que son actif était devenu suffisant pour permettre sa subsistance et sa stabilité, aurait discontinué d’augmenter sa réserve.
A compter de ce moment, comment les surplus d’opération furent-ils employés? A la fin de l’année financière, le surplus, après avoir été déterminé par le bureau de direction et approuvé par l’assemblée générale des membres actionnaires planteurs, était versé à une réserve pour planteurs dans le but de créer ou d’augmenter un fonds de roulement ou d’opération. Les sommes payées à ce fonds étaient créditées et individualisées à chaque membre au prorata de la quantité et de la qualité du tabac livré. Puis, l’assemblée générale, sur la recommendation du bureau de direction, déterminait le montant requis pour procéder aux opérations de l’année suivante et décrétait que l’excédant non requis du fonds serait payé aux membres planteurs. Le fonds variait suivant les besoins de l’opération effective de l’entreprise. Ce fonds ou réserve appartenait aux membres, et non à l’intimée.
Je ne puis accepter la prétention de l’appelant que la réserve pour planteurs ou fonds de roulement constitue un actif de l’intimée et que le surplus des opérations versé à cette réserve est un revenu imposable de la Coopérative. Je crois plutôt que l’intimée est une Coopérative de producteurs de tabac qui reçoit à titre de consignataire le produit de ses membres, leur verse une montant initial après livraison et prépare, classifie et vend le produit au meilleur compte possible; elle déduit le montant de ses frais ou dépenses, verse le surplus à un fonds de roulement et remet à ses membres l’excédant du fonds non requis pour la continuation de l’opération.
Dans mon opinion, cette réserve pour planteurs ou fonds de roulement a été constituée et est maintenue avec les revenus propres et imposables des membres; par conséquent, elle appartient à ces derniers, et non à l’intimée. Les montants reçus par les membres ne sont pas des répartitions proportionnelles d’apport prévues par la loi, mais des remises de sommes leur appartenant et non nécessaires à la préparation et à la vente effective de leur tabac.
Quant aux montants décrits comme intérêt au bilan de l’intimée, ils proviennent du produit de la vente des récoltes et devraient former partie du surplus d’opération de l’année. Ils ne sont pas pris à même le revenu imposable de l’intimée et ne peuvent pas être considérés comme dépenses pour gagner son revenu. L’examen que j’ai fait des bilans m’a convaincu que l’entrée de ces sommes au compte de dépenses est inutile, parce qu ’en réalité elles sont intégrées dans le surplus d’opération à chaque année et devraient être considérées comme surplus. Le surplus étant la propriété des membres, ceux-ci n'ont aucun intérêt à s’en servir pour se payer des intérêts. Si vous enlevez l’entrée des intérêts versés à la réserve pour planteurs, vous devrez immédiatement l’ajouter au surplus d’opération, qui sera versé au fonds de roulement. Une entrée irrégulière dans les livres de comptes ou bilans, et qui n’est pas conforme aux faits établis, ne peut, à mon avis, avoir l’effet de changer un revenu non imposable en un revenu imposable.
‘’est la réalité des faits et le caractère des transactions entre l’intimée et ses membres qui doivent servir à déterminer si les montants en litige sont des revenus imposables de la Coopérative ou de ses membres. Cette règle a été appliquée dans un grand nombre de causes. L’honorable juge Lamont, de la Cour suprême du Canada, dans la cause M.N.R. v. The Saskatchewan Co-opera- tive Wheat Producers Ltd., [1930] S.C.R. 402; [1928-34] C.T.C. 47, en fait mention dans ses remarques aux pages 409 et 410 [ [1928-84] C.T.C. 54]. Je cite:
‘ In revenue cases it is a well recognized principle that regard must be had to the substance of the transactions relied on to bring the subject within the charge to a duty and the form may be disregarded’. (Pollock, M.R., in Inland Revenue Commissioners v. Eccentric Club Limited, [1924] 1 K.B. 390 at p. 414).”
I] faut done que les faits établis servant de base aux cotisations de l’appelant soient tels qu’ils puissent entrer dans le cadre des termes de la définition des mots ‘‘revenu imposable” de l’article de la Loi de l’impôt de guerre sur le revenu, S.R.C. 1927, c. 97, dont voici la partie pertinente:
“3. For the purposes of this Act, ‘income’ means the annual “net profits or gain or gratuity, . . . as being profits from a ‘trade or commercial or financial or other business . . . directly or indirectly received by a person from any trade, manufacture or business, . . .”
Je suis d’opinion que les montants en litige ne peuvent être considérées comme revenu imposable de l’intimée au sens de la définition précitée. L’intimée n’agissait pas pour son propre compte, dans le but de réaliser des profits ou gains; elle agissait pour les membres et dans l’intérêt de ceux-ci. L’intimée recevait livraison de leur produit comme consignataire; elle procédait, comme mandataire ou agent, aux opérations nécessaires à la disposition de leur tabac, à la perception du prix de vente, au dépôt du surplus de l’opération à la réserve pour planteurs, et, plus tard, à la remise aux membres de la partie du fonds non requise pour les opérations futures.
En d’autres mots, je ne crois pas que, pour les raisons que j'ai déjà mentionnées, l’intimée était engagée dans une entreprise commerciale, industrielle, financière ou autre dans le but de réaliser des profits; elle opérait plutôt pour les membres. Elle avait un actif propre qui ne provenait aucunement du surplus d’opération pour les années sous étude. Les profits ou revenus imposables réalisés provenaient de ses transactions avec les non- membres et ils sont en conséquence étrangers au présent débat.
La règle suivie constamment lorsqu’il s’agit de déterminer si un revenu est imposable est à l’effet que le droit à ce revenu doit être absolu et ne peut être soumis à aucune restriction contractuelle ou autre quant à sa jouissance, son usage et sa disposition. Ce principe a été énoncé et appliqué dans les causes suivantes : C.I.R. v. Eccentric Club Ltd., [1924] 1 K.B. 390 à p. 414; M.N.R. v. The Saskatchewan Co-operative Wheat Producers Ltd. (supra); Robertson v. M.N.R., [1944] Ex. C.R. 170; [1944] C.T.C. 75; Canadian Fruit Distributors Ltd. v. M.N.R., [1954] Ex. C.R. 551 à 559; [1954] C.T.C. 284.
Pour que les montants en litige soient considérés ‘‘revenu imposable” de l’intimée, il faudrait que son droit à ce revenu soit absolu. Les faits que nous connaissons ne pourraient justifier une semblable conclusion.
Comme il s’agit de réserve dans cette cause, je crois utile de me référer de nouveau à la cause de M.N.R. v. Saskatchewan Co-operative Wheat Producers Ltd. (op. cit.). A la page 402 du rapport il est dit I [1928-34] C.T.C. 48] :
“ . . . The primary object of its incorporation was to enable its members, who were Saskatchewan grain growers, to market their grain co-operatively. It was assessed for income under the Income War Tax Act (R.S.C. 1927, c. 97) in respect of certain sums which it retained, from the gross returns of sale of grain, as a commercial reserve ’ and as an ‘ elevator reserve’. It objected to the assessment on the ground that the sums so retained did not constitute income within the Income War Tax Act.’’
Le jugé se lit ainsi :
‘that it was not assessable in respect of the said sums. . . . The basis of chargeability to income tax is the operation of a trade or business giving rise to a profit. The respondent in respect of said reserves was merely machinery for collecting contributions from the growers, not as its shareholders but as subscribers to the fund, and for using those moneys for the growers’ benefit and handing them back in some form or other when no longer required; and hence the reserves could not be said to be ‘profits or gains’ of respondent.’’
L’intimé ici n’a été que l’instrument des membres planteurs pour recevoir, préparer et vendre leur produit et créer ou augmenter une réserve pour planteurs ou fonds de roulement. Il n’y a que des membres planteurs qui ont contribué à cette réserve, dont la mise leur a été créditée individuellement et qui ont droit de participer à sa distribution. Or, les membres plan- teurs qui ont formé la réserve ou fonds sont aussi des actionnaires, et c’est en cette qualité qu’ils choisissent les directeurs qui administrent leur Société; ils ont done le contrôle de cette réserve et de sa disposition. Dans de telles circonstances, je suis d’opinion qu’il est impossible de conclure que cette réserve a été créée et augmentée par des revenus de l’intimée et que le surplus des opérations décrites dans ces remarques soit ‘‘revenu imposable” de l’intimée.
Enfin, dans la cause de The Horse Co-operative Marketing Association Ltd. v. M.N.R., [1956] Ex. C.R. 393; [1956] C.T.C. 115, l’honorable juge J. T. Thorson, Président de cette Cour, résume ainsi les faits:
“The appellant was incorporated under the Co-operative Marketing Association Act, R.S.S. 1940, c. 180. Its members associated themselves together as an incorporated association on a non-profit co-operative plan for the purpose of disposing of their surplus horses by collective and co-operative action. At first the appellant sold live horses, but later it processed horse meat and sold it largely in Belgium. The appellant was not in the ordinary business of buying horses. Its members delivered horses to it as instructed and in such delivery received an initial payment per pound, the balance of the payment being dependent on the year’s operations. At the end of the year 1947 the appellant credited its members with two amounts, which it styled equalization allotment and further allotment, the totals of which came to $102,917.84 for the former and $742,665.23 for the latter. In assessing the appellant the Minister added these two amounts to the amount of taxable income reported by it. The appellant objected and appealed to the Income Tax Appeal Board which dismissed its appeal and the appellant appealed against this decision.’’
Voici la teneur du jugé:
“4. That what the members really did in associating themselves together in the appellant association was to establish it as the means or machinery for accomplishing by co-operative action the purpose which they could not achieve individually, namely, the advantageous disposal of their surplus horses. When they delivered their horses to the appellant they did not sell them to the appellant in the ordinary sense but delivered them to it for marketing or processing by it on their behalf and for them.
5. That when the appellant received the horses it did so as agent for the members and was accountable to them for the net proceeds from their marketing or the sale of the processed product. The initial payments to the members were really advances to them on account of the total to which they were severally entitled and the surplus of the appellant’s receipts over its expenditures did not belong to the appellant as its profits or gains but belonged to the members in their own individual rights and was held by it on their behalf and for them.’’
Je crois opportun de faire remarquer qu’il y a similarité entre la cause immédiatement précitée et celle qui nous occupe, sauf qu’en ce qui concerne celle-ci les surplus sont crédités aux membres au prorata de la quantité et qualité de tabac livré par chacun d’eux et le montant qui excède les besoins pour opérations futures leur est versé en argent.
Ayant décidé que les surplus des opérations de l’intimée quant à la vente du tabac de ses membres et les montants décrits comme intérêts ne constituaient pas un revenu imposable de l’intimée, je ne puis accepter la prétention de l’appelant que les articles de la Loi de l’Impôt de guerre sur le revenu et de la Loi de l’Impôt sur le revenu concernant les répartitions proportionnelles à l’apport commercial et les intérêts doivent être appliqués dans la présente cause.
Pour les raisons ci-dessus mentionnées, l’appel est rejeté avec dépens.
Jugement en conséquence.