DUMOULIN, J.:—Cette cause fut entendue à Montréal le 29 mai 1956.
Le ministre du Revenu national se pourvoit en appel à l’encontre d’une décision de la Commission d’Appel de l’impôt sur le revenu, 10 Tax A.B.C. 330, datée le 8 avril 1954, qui, accueillant la contestation, enjoignait au ministère de déduire du revenu de l’intimé, pour l’année 1949, la somme de $1,836, et d’émettre une cotisation revisée.
Les incidents qui ont occasionné ce différend sont, pour le moins, insolites, et la suite le fera voir, d’une portée morale très restreinte.
En 1946, Albert Martin, l’intimé, tavernier de son état, résidait depuis quelques années à Plage Laval, dans la banlieue de Montréal. Simple desserte paroissiale auparavant, Plage Laval, dans le cours de l’an 1946, fut régulièrement érigée en paroisse, avec désignation d’un curé et le choix corollaire de trois mar- guilliers, dont l’intimé Martin. Cette nouvelle paroisse reçut le vocable de St-Théophile de Laval-ouest. Peu après, une assemblée des marguilliers de l’Oeuvre et Fabrique, et des deux syndics, fut tenue. L’on décida d’acquérir un terrain assez vaste pour satisfaire aux besoins paroissiaux: l’église, l’école, le lotissement d’un cimetière.
Une terre de vingt arpents carrés environs, dont la mise à l’enchère, en licitation, était annoncée, paraissant convenir, l’achat en fut résolu. Avec l’espoir, du reste irréalisé, qu’un enchérisseur individuel l’obtiendrait à meilleur compte que la Fabrique, le curé et les marguilliers engagèrent Albert Martin à se porter personnellement acquéreur de cette propriété pour la revendre à la Paroisse au prix par lui payé.
L’intimé, qui avait des économies, crut ne pouvoir se soustraire à pareil appel et accepta le mandat. Aucune limitation du prix ne fut imposée, l’entente étant que Martin achèterait aux meilleures conditions du moment.
Lors de la vente, tenue le 17 décembre 1946, comme les surenchères atteignaient l’indice de $17,000, il semble bien que l’intimé ait hésité à passer outre. Mais le marguillier en charge, Arthur Labelle, lui conseillant de persister jusqu’à concurrence de $20,000, il dut relancer une surenchère de $19,900 (témoignage d’Arthur Labelle) pour se voir enfin adjuger cet immeuble au prix de $20,000 (voir pièce 1).
Après cette transaction une autre assemblée de l’Oeuvre et Fabrique eut lieu; l’intimé fit rapport de sa mission accomplie et se déclara prêt à donner titre à la paroisse sur remboursement de $20,000.
Si invraisemblable que cela paraisse, une preuve précise, concordante, formelle, m’oblige à tenir pour avéré ce qui suit. Le curé—son nom ne fut pas divulgé—apprit à Martin l’abandon du projet initial de construire une église, ajoutant qu’il suffirait d’agrandir la chapelle actuelle, et qu’il ne saurait être question de racheter la terre dont il venait de se porter acquéreur en qualité de prête-nom.
Ce personnage, il est vrai, suggérait une solution, que je rapporterai selon les termes mêmes du marguillier en charge, Arthur Labelle, et de son collègue du bane d’oeuvre, Orner Briére; je cite (Notes du témoignage d’Arthur Labelle) :
‘Quelque temps après, au cours d’une autre assemblée des marguilliers, le curé du temps dit à Martin : ‘Tu as acheté la telle, eh bien! donne-la à la Paroisse, on ne te l’achètera pas.’ ”’
Notes du témoignage d’Orner ière :
“Le curé lui a dit: ‘Martin, maintenant que tu as acheté la terre, donne-la à la Paroisse. ’ ’ ’
Il n’est pas jusqu’au nouveau curé de St-Théophile, M. l’abbe Roger Raymond, totalement étranger à cette volte-face, qui n’en atteste toutefois la réalité, disant :
“Quand je suis arrivé sur place, je fus confronté par un état de fait: je sais qu’il avait été représenté à M. Martin que la Fabrique lui achèterait cette terre.’’
Il est permissible de conjecturer ce qui s’était passé et charitable de le taire.
Quant à l’intimé, propriétaire foncier malgré lui, il s’inspira, inconsciemment sans doute, du dicton à l’effet que ‘‘qui tombe dans un trou doit essayer d’en sortir par tous les moyens’’. Fort de cette persuasion, Martin, selon l’avis de l’abbé Raymond, subdivisa la propriété en lots à bâtir, y construisant huit maisons, de 1947 à 1950. L’intimé déclara que, de ces huit demeures, trois étaient vendues et cinq louées. Le secrétaire-trésorier de la ville de Laval-ouest, M. Jean Galarneau, témoignera que le rôle d’évaluation de cette municipalité fait mention de dix-sept (17) maisons bâties sur des terrains appartenant, ou ayant appartenu, à l’ancienne terre Nadon, celle dont il s’agit. Enfin, M. Galarneau précise que le prix des terrains, en 1956, à Laval-ouest, est de 100 le pied carré sur les rues commerciales, et de 7c sur les rues résidentielles.
Ce fut dans ces circonstances que l’appelant ajouta $1,836 au revenu imposable de l’intimé, pour l’année 1949, comme étant les bénéfices provenus de spéculations immobilières et non pas la plus-value afférente à la réalisation d’un capital.
L’appelant soutient (art. 9) comme unique motif: “. . . qu’il appartient à l’intimé d’établir devant cette honorable cour que les profits provenant des transactions immobilières en question ne sont pas des profits résultant d’un commerce au sens de l’article 3 de la Loi de l’impôt sur le revenu.”
L’intimé répond (arts. 8, 9 et 10 fusionnés) qu'il acquit cette parcelle de terre sans aucune intention de faire un profit et dans le seul but de rendre service à ses coparoissiens; qu'il s’efforce de récupérer par le lotissement de terrains et la vente de maisons, sa mise originale de fonds; qu’il n’a jamais prétendu faire le commerce d’immeubles en achetant le terrain, et que seule une complication imprévisible l’induisit à morceler cette propriété afin de sauvegarder ses capitaux engagés.
En bref, les ventes effectuées par Albert Martin, durant l’année 1949, d’où vient l’excédent de $1,536, étaient-elles de nature commerciale, ou d’inspiration spéculative, ou, au contraire, le gain réalisé ne constitue-t-il que la plus-value inhérente à la revente d’un patrimoine?
Revenus d’initiatives commerciales, d’un métier, ou rentrée de capitaux déboursés, telle est la question soulevée en regard des articles 3, 4 et 127(1) (e) de la Loi de l’impôt sur le revenu de 1948 (11-12 Geo. VI, c. 52), dont les deux phases précédentes résument suffisamment la teneur.
En pareil cas, l’on se réfère volentiers aux directives simples et très lucides, énoncées, dès 1904, dans Californian Copper Syndicate v. Harris, 5 T.C. 165, par le Lord Justice Clerk:
“. . . the question to be determined being—Is the sum of gain that has been made a mere enhancement of value by realizing a security, or is it a gain made in an operation of business in carrying out a scheme for profit-making ? ”
A quoi il convient de joindre ces principes connexes, d’application concrète, formulée par le Président de cette Cour dans la cause de John Cragg v. M.N.R., [1952] Ex. C.R. 40; [1951] C.T.C. 322. M. le juge Thorson disait que :
2. That the Court must be careful before it decides that a series of profits, each one of which would by itself have been a capital gain, has become profit or gain from a business. Such a decision cannot depend solely on the number of transactions in the series, or the period of time in which they occurred, or the amount of profit made, or the kind of property involved. Nor can it rest on statements of intention on the part of the taxpayer. The question in each case is what is the proper deduction to be drawn from the taxpayer’s whole course of conduct viewed in the light of all the circumstances. The conclusion in each case must be one of fact.’’
Done, question de faits dans chaque cas, informée au regard de la loi par les circonstances ambiantes, non par la seule con- joncture d’un profit et moins encore, ce serait trop simpliste, par l’intention alléguée du contribuable. Cette revente parcellaire et à profit de la propriété n’est qu’un moyen incident, qui ne saurait imprimer à la transaction son caractère spécifique.
La narration du cas comportait aussi l’analyse de la preuve reçue ; il serait superflu d’y revenir, sinon à dessein de souligner que le ministère, suspectant les explications de l’intimé et de ses témoins, aurait dû citer en contre-preuve le curé du temps, présumé vivant.
Quant à la conduite des deux autres marguilliers, et davantage celle du curé ‘‘fondateur’’, je laisse à l’indulgence des parties intéressées le soin de l’apprécier.
Avant de conclure, je rapporterai une récente décision (29 mars 1956), rendue par M. le juge adjoint Hyndman dans un cas dont l’analogie au nôtre est assez grande. Il s’agissait de l’affaire McGuire v. M.N.R., [1956] Ex. C.R. 264; [1956] C.T.C. 98, où il fut jugé que l’appelant (McGuire) ne faisait pas commerce mais disposait tout simplement de son bien et sans spéculation, dans les conditions que voici :
“Appellant in 1940 purchased a farm for a home intending to live on it and at time of hearing of the appeal was living on it. In 1949 he subdivided part of it into 52 lots of which 20 were sold in the years 1949, 1950, 1951 and 1952. Appellant was assessed for income tax on the profits from the sale of these lots . . .
Held, that the decision . .. must be reversed as appellant did not purchase the land as a venture or for speculation and there is no distinction between selling the land in whole or in parts.’’
Je ne puis déceler aucune raison grave de révoquer en doute les assertions catégoriques des marguilliers Labelle et Brière, du maire Laframboise, de M. l’abbé Raymond, celles enfin d’Albert Martin.
Par ces motifs, je tiens pour justifiée, quant à ses conclusions, la réponse de l’intimé à l’avis d’appel. Le gain de $1,836, ajouté au revenu déclaré de Martin pour l’année 1949, par suite des transactions immobilières précitées, n’est point un revenu spéculatif ou commercial mais l’accroissement de valeur d’un patrimoine immobilier.
En conséquence, l’appel est rejeté; l’intimé aura droit de recouvrer tous ses frais taxables.
Jugement en conséquence.