Dubé,
J:—Il
s’agit
ici
de
déterminer
si
les
frais
légaux
encourus
par
la
demanderesse
sont
déductibles
aux
fins
de
la
Loi
de
l’impôt
sur
le
revenu.
Les
deux
parties
en
cause
s’entendent
sur
les
faits
et
les
questions
en
litige.
Brièvement,
le
25
janvier
1972
la
demanderesse
louait
de
Lucien
Brisson
certains
lots
situés
dans
la
paroisse
de
St-Mathieu
de
Beloeil
avec
un
restaurant
ci-dessus
érigé
pour
un
terme
de
dix
ans
avec
droit
de
renouvellement
pour
deux
termes
consécutifs
de
cinq
ans
chacun.
Lucien
Brisson
s’engagea
a
construire
à
ses
frais
un
poste
d’essence
selon
les
plans
et
devis
de
la
demanderesse.
Au
terme
de
la
construction,
soit
vers
le
milieu
de
février
1972,
la
demanderesse
en
commença
l’exploitation.
Le
6
juin
1973,
Jean
B
Fournier,
un
garagiste
opérant
un
poste
sur
un
terrain
avoisinant,
présenta
à
la
Cour
supérieure
de
la
province
de
Québec
une
requête
pour
injonction
interlocutoire
aux
fins
d’ordonner
à
la
demanderesse
de
cesser
son
exploitation
sur
les
lieux.
Cette
requête
fut
accordée
le
24
juillet
1973.
Le
lendemain
la
Cour
d’appel
de
la
province
de
Québec
refusa
de
suspendre
l’injonction
interlocutoire
laquelle
fut
confirmée
d’une
façon
définitive
le
6
mai
1974
par
cette
même
Cour.
Au
cours
des
années
1973
et
1974
ledit
Fournier
présenta
des
requêtes
pour
outrages
au
Tribunal
fondées
sur
la
continuation
par
la
demanderesse
de
l’exploitation
du
poste,
soi-disant
au
mépris
de
l’injonction
interlocutoire
susdite.
Selon
les
cotisations
pour
les
années
d’imposition
1974
et
1975,
la
défenderesse
a
refusé
à
la
demanderesse
de
déduire
des
sommes
de
$30,000
et
$32,196.97
engagées
à
titre
de
frais
légaux
au
cours
desdites
années
d’imposition
aux
fins
de
contester
et
de
se
pourvoir
en
appel
des
requêtes
et
des
ordonnances
susmentionnées.
En
conséquence
de
toutes
ces
procédures,
la
demanderesse
a
dû
cesser
en
mai
1974
l’exploitation
dudit
poste
d’essence.
Les
parties
conviennent
que
les
questions
en
litige
sont
limitées
aux
suivantes:
a)
Quant
aux
frais
légaux
afférents
aux
requêtes
pour
injonction,
la
défenderesse
soutient
qu’ils
ne
sont
pas
déductibles
en
raison
des
dispositions
de
l’alinéa
18(1
)(b)
de
la
Loi
de
l’impôt
sur
le
revenu
et
dans
la
mesure
où
la
prohibition
dudut
alinéa
18(1)(b)
ne
s’applique
pas,
la
défenderesse
admet
que
lesdits
frais
sont
déductibles
aux
fins
de
calculer
le
revenu
de
la
demanderesse
selon
les
règles
comptables
généralement
admises;
b)
Quant
aux
frais
se
rapportant
aux
requêtes
pour
outrages
au
Tribunal,
la
défenderesse
soutient
qu’ils
ne
sont
pas
déductibles
tant
en
raison
des
dispositions
de
l’alinéa
18(1)(a)
que
de
l’alinéa
18(1
)(b)
de
la
Loi
de
l’impôt
sur
le
revenu
et
dans
la
mesure
où
ces
frais
ont
été
faits
ou
engagés
en
vue
de
produire
un
revenu
de
la
demanderesse
et
qu’ils
ne
constituent
pas
un
paiement
à
titre
de
capital,
la
défenderesse
admet
que
ces
frais
sont
déductibles
aux
fins
du
calcul
du
revenu
de
la
demanderesse
selon
les
règles
comptables
généralement
admises.
Les
dispositions
précitées
se
lisent
comme
suit:
18.(1)
Dans
le
calcul
du
revenu
du
contribuable,
tiré
d’une
entreprise
ou
d’un
bien,
les
éléments
suivants
ne
sont
pas
déductibles:
a)
un
débours
ou
une
dépense
sauf
dans
la
mesure
où
elle
a
été
faite
ou
engagée
par
le
contribuable
en
vue
de
tirer
un
revenu
des
biens
ou
de
l’entreprise
ou
de
faire
produire
un
revenu
aux
biens
ou
à
l’entreprise;
b)
une
somme
déboursée,
une
perte
ou
un
remplacement
de
capital,
un
paiement
à
titre
de
capital
ou
une
provision
pour
amortissement,
désuétude
ou
épuisement,
sauf
ce
qui
est
expressément
permis
par
la
présente
Partie.
Pour
être
déductible
une
dépense
doit
avoir
été
encourue
dans
le
but
de
produire
un
revenu
(18(1)(a))
et
ne
pas
avoir
été
déboursée
à
titre
de
capital
(18(1
)(b)):
(vide
Farmers
Mutual
Petroleums
Limited
v
MNR,
[1968]
SCR
59;
[1967]
CTC
396;
67
DTC
5277).
Evidemment,
l’objectif
d’une
entreprise
commerciale
est
de
tirer
un
profit
et
toute
dépense
est
généralement
encourue
dans
ce
sens,
mais
aux
fins
de
l’impôt
il
importe
de
déterminer
s’il
s’agit
d’une
dépense
de
revenu,
ou
d’une
dépense
à
titre
de
capital.
En
l’espèce,
les
frais
légaux
encourus
par
la
demanderesse
l’ont
sûrement
été,
directement
ou
indirectement,
pour
protéger
soit
la
source
de
son
revenu,
soit
le
revenu
lui-même.
Il
faut
ici
décider
si
les
frais
en
question
sont
reliés
à
la
défense
de
la
structure,
de
l’actif,
de
l’être
même
de
la
compagnie,
ou
si
ces
frais
se
rapportent
plutôt
à
l’exploitation
de
l’entreprise
et
la
production
du
revenu.
Comme
le
souligne
le
juge
Martland
de
la
Cour
suprême
du
Canada
dans
l’arrêt
Farmers
précité,
des
frais
légaux
encourus
dans
le
but
de
protéger
un
actif
avantageux
de
bénéfice
durable
(“an
asset
of
advantage
for
the
enduring
benefit’’)
du
commerce
sont
des
frais
à
titre
de
capital
et
non-
déductibles.
Dans
la
cause
MNR
v
Dominion
Natural
Gas
Company
Limited,
[1941]
SCR
19;
[1940-41]
CTC
155;
1
DTC
499-133
des
frais
légaux
ont
été
adjugés
comme
étant
destinés
à
la
défense
du
capital
actif,
et
non-déductibles.
Le
juge
en
chef
Duff
a
trouvé
qu’une
dépense
faite
“une
fois
pour
toutes’’
dans
le
but
de
procurer
à
la
compagnie
“l’avantage
d’un
bénéfice
durable”,
est
une
dépense
à
titre
de
capital.
La
compagnie
défendait
son
droit
de
distribuer
son
produit
aux
résidents
de
Hamilton.
Par
contre
le
juge
Maclean
de
la
Cour
d’Echiquier
dans
l’affaire
MNR
v
The
Kellogg
Company
of
Canada
Limited,
[1943]
SCR
58;
[1943]
CTC
1;
2
DTC
601
a
conclu
que
des
frais
légaux
pour
défendre
une
marque
de
commerce
se
rapportent
à
l’opération
de
l’entreprise
et
sont
donc
déductibles.
II
trouva
que
ces
déboursés
étaient
“involontaires”
et
non
pas
encourus
“une
fois
pour
toutes
ou
pour
le
bénéfice
durable
du
commerce”.
Dans
l’arrêt
MNR
v
Goldsmith
Bros
Smelting
&
Refining
Company
Limited,
[1954]
SCR
58;
[1954]
CTC
28;
54
DTC
1011,
des
frais
légaux
déboursés
à
défendre
la
compagnie
contre
une
accusation
de
participation
à
une
combine
illégale
ont
également
été
adjugés
comme
étant
déductibles.
Le
Président
Jackett
de
la
Cour
d’Echiquier
(maintenant
juge
en
chef
de
la
Cour
fédérale)
tente
dans
l’arrêt
Canada
Starch
Company
Limited
v
MNR,
[1969]
Ex
CR
96;
[1968]
CTC
466;
68
DTC
5320,
de
définir
ce
qu’est
une
dépense
à
titre
de
capital.
Il
se
réfère
d’abord
à
un
critère
évoqué
par
le
juge
Dixon
dans
la
cause
Sun
Newspapers
Ltd
et
al
v
Fed
Com
of
Taxation
(1938),
61
CLR
337,
lequel
critère
peut
essentiellement
se
traduire
ainsi:
La
distinction
entre
une
dépense
de
capital
et
une
dépense
de
revenu
correspond
à
la
différence
entre
l’entité
commerciale,
la
structure,
l’organisation
établie
pour
faire
un
profit
d’une
part,
et
d’autre
part
le
processus
par
le
truchement
duquel
l’organisation
opère
pour
obtenir
un
revenu
régulier.
Le
Président
Jackett
en
extrait
sa
propre
distinction
à
deux
volets
à
la
page
102:
a)
on
the
one
hand,
an
expenditure
for
the
acquisition
or
creation
of
a
business
entity,
structure
or
organization,
for
the
earning
of
profit,
or
for
an
addition
to
such
an
entity,
structure
or
organization,
is
an
expenditure
on
account
of
capital,
and
b)
on
the
other
hand,
an
expenditure
in
the
process
of
operation
of
a
profit-making
entity,
structure
or
organization
is
an
expenditure
on
revenue
account.
Le
savant
juge
applique
cette
distinction
dans
l’arrêt
Canada
Starch
précité
pour
conclure
que
des
frais
légaux
déboursés
a
la
défense
de
la
marque
de
commerce
“Viva”
sont
des
déboursés
afférents
à
l’opération
de
l’entreprise,
donc
déductibles.
Le
juge
Abbott
avait
déjà
ajouté
une
autre
précision
au
critère
dans
l’arrêt,
British
Columbia
Electric
Railway
Company
Limited
v
MNR,
[1958]
SCR
133;
[1958]
CTC
21;
58
DTC
1022.
Selon
lui,
le
principe
à
la
base
de
la
distinction
entre
une
dépense
de
capital
et
une
dépense
de
revenu,
c’est
que
pour
fin
d’impôt
le
revenu
est
déterminé
sur
une
base
annuelle,
donc
une
dépense
encourue
pour
gagner
du
revenu
au
cours
de
l’année
en
cause
et
déductible
pour
cette
année
là.
D’un
autre
côté
une
dépense
à
titre
de
capital
est
une
déduction
admise
en
allocation
de
coût
de
capital
sur
une
base
de
plusieurs
années.
Dans
la
cause,
Van
den
Berghs
Limited
v
Clark,
[1935]
AC
431,
une
compagnie
anglaise
et
une
compagnie
hollandaise
à
la
suite
d’ententes
et
de
disputes
en
vinrent
à
l’arbitrage
et
la
deuxième
compagnie
dû
payer
450,000
L
en
dommages
à
la
première.
Le
Conseil
privé
décida
que
cette
somme
était
un
paiement
à
compte
de
capital
et
donc
non-déductible.
Lord
Macmillan
en
conclut
qu’il
ne
s’agissait
pas
d’ententes
commerciales
ordinaires
dans
le
cours
normal
des
affaires.
Il
n’était
donc
pas
question,
selui
lui,
de
contrats
pour
la
vente
de
produits,
ou
pour
l’engagement
d’agents,
ou
pour
la
distribution
des
profits.
Au
contraire,
dit-il,
à
la
page
442:
On
the
contrary
the
cancelled
agreements
related
to
the
whole
structure
of
the
appellants’
profit-making
apparatus.
They
regulated
the
appellants’
activities,
defined
what
they
might
and
what
they
might
not
do,
and
affected
the
whole
conduct
of
their
business.
I
have
difficulty
in
seeing
how
money
laid
out
to
secure,
or
money
received
for
the
cancellation
of,
so
fundamental
an
organization
of
a
trader’s
activities
can
be
regarded
as
an
income
disbursement
or
an
income
receipt.
La
jurisprudence
en
la
matière
est
alors
abondante
et
souventes
fois
invoquée;
il
faut
donc
l’appliquer
aux
faits
de
l’espèce.
La
demanderesse
voulait
opérer
un
commerce
à
un
endroit
précis
qu'elle
jugeait
très
avantageux.
Par
contre
le
terrain
en
question
ne
longeait
pas
la
grande
route
mais
en
était
séparé
par
d’autres
lots
lesquels
étaient
présumément
assujettis
à
une
servitude
de
restriction
en
faveur
des
lots
appartenant
a
Fournier.
Pour
contourner
le
problème
la
demanderesse
se
servait
des
lots
riverains,
affectés
de
restriction,
pour
l’entrée
et
le
stationnement
des
véhicules
des
clients
et
opérait
le
poste
sur
des
lots
de
fond
non-
assujettis
à
la
prétendue
servitude.
Le
Tribunal
émit
donc
des
injonctions
pour
interdire
l’exploitation
du
commerce.
A
quelques
reprises
la
demanderesse
tenta
de
se
soustraire
à
l’ordonnance
en
ré-arrangeant
ses
enseignes,
lumières,
etc,
pour
libérer
ses
lots
riverains
de
toute
apparence
commerciale.
Elle
fut
trouvée
coupable
d’outrages
au
Tribunal
et
cessa
finalement
ses
opérations.
Le
litige
n’est
pas
encore
définitivement
tranché,
puisque
deux
appels
sont
encore
en
délibéré.
Le
vice-président
de
la
demanderesse,
avocat
et
homme
d’affaires
averti,
a
lui-même
fait
valoir
en
témoignage
le
point
de
vue
de
sa
compagnie.
Il
a
expliqué
que
ce
n’était
pas
l’intention
de
la
demanderesse
de
désobéir
au
Tribunal.
Après
avoir
obtenu
une
opinion
légale
il
a
conclu
que
la
demanderesse
avait
droit
d’exploiter
son
commerce
sur
le
terrain
en
question.
Elle
continue
encore
de
faire
valoir
ses
prétentions
devant
les
tribunaux.
Il
n’y
a
donc
pas
lieu
d’établir
une
distinction
aux
fins
de
ce
jugement
entre
les
frais
légaux
afférents
à
l’injonction
et
les
frais
afférents
aux
requêtes
pour
outrages
au
Tribunal.
Tous
ces
déboursés
ont
été
encourus
dans
le
but
de
maintenir
le
poste
en
opération.
Ce
poste
d’essence
ne
représente
qu’une
mince
fraction
des
operations
totales
de
la
demanderesse.
Cette
dernière
est
une
grande
société
pétrolière
intégrée
qui
raffine
et
met
sur
le
marché
ses
propres
produits.
Elle
exploite
des
centaines
de
postes
d’essence
au
Canada,
dont
le
poste
en
question
lequel
n’effectuait
qu’un
dixième
d’un
pour
cent
des
ventes
totales
de
la
compagnie.
Cette
considération
cependant
ne
signifie
pas
que
le
poste
ne
faisait
pas
partie
intégrante
de
la
structure
de
la
compagnie.
Une
dépense
à
son
endroit
pouvait
l’être
aussi
bien
a
titre
de
capital
qu’au
compte
du
revenu.
Essentiellement,
le
présumé
droit
d’opérer
le
poste
à
cet
endroit
particulier,
présomption
fondamentale
à
la
base
du
litige,
au
sujet
duquel
les
sommes
ont
été
déboursées,
était-ce
un
“actif
avantageux
de
benefice
durable’’?
Etait-ce
un
élément
afférent
à
la
structure,
à
l’entité
commerciale,
à
l’organisation
même
de
la
compagnie?
Est-ce-que
ces
dépenses
ont
été
encourues
dans
le
but
de
régler
le
problème
“une
fois
pour
toutes’’?
Je
le
crois.
Je
ne
vois
pas
vraiment
comment
je
pourrais
considérer
ces
frais
légaux
comme
dépenses
afférentes
à
la
production
du
revenu.
Tout
cet
effort
légal
a
été
déployé
par
la
demanderesse
en
vue
de
protéger
l’existence
même
du
poste.
De
fait,
à
la
suite
des
ordonnances
du
Tribunal
le
poste
a
dû
éventuellement
fermer
ses
portes.
Le
présumé
droit
d’exploitation
était
un
actif
avantageux
de
la
compagnie,
son
actif
le
plus
fondamental
en
ce
qui
a
trait
à
ce
poste
en
particulier
et
c’est
à
la
défense
de
cet
actif
précis
que
lesdits
frais
légaux
ont
été
encourus.
Il
en
ressort
de
la
jurisprudence
précitée,
et
plus
particulièrement
de
l’arrêt
Dominion
Natural
Gas,
qu’une
dépense
légale
faite
en
vue
de
conserver
un
actif
en
capital
est
un
paiement
à
compte
de
capital.
L’appel
de
la
demanderesse
ne
peut
donc
être
accueilli.