Date: 20030120
Dossier: 2001-2389(IT)I
ENTRE :
DOMINIQUE GONTHIER,
appelant,
et
SA MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
MOTIFS DU JUGEMENT
(prononcés oralement à
l'audience
le 16 octobre 2002, à Montréal
(Québec),
et modifiés par la suite pour plus de
clarté)
Le juge Archambault, C.C.I.
[1] Monsieur Dominique Gonthier
conteste une cotisation établie par le ministre du Revenu
national (ministre) à l'égard de
l'année d'imposition 1995. Le ministre lui a
refusé, dans le calcul de son impôt, le
crédit d'impôt pour don de bienfaisance. Le don
en question, qui s'élevait à 6 068 $,
représentait une somme remise au Fonds de
développement du Collège Édouard-Montpetit
(Fonds), un organisme de bienfaisance dûment inscrit
auprès du ministre. Le ministre soutient que cette somme
n'a pas été versée comme don valablement
fait, mais était plutôt la contrepartie de
l'utilisation d'un ordinateur à des fins
personnelles exclusivement.
[2] Le ministre a énoncé
au paragraphe 14 de sa Réponse à l'avis
d'appel les faits suivants, sur lesquels il s'est
fondé pour établir sa cotisation :
a) en
produisant sa déclaration de revenus pour
l'année d'imposition 1995, l'appelant a
réclamé un crédit pour don de bienfaisance
en rapport, entre autres, avec un montant de 6 068 $
qui correspondrait à un reçu
(ci-après, le « reçu » )
établi par le « Fonds de Développement
du Collège Édouard-Montpetit »
(ci-après, le « Fonds » ), au cours
de l'année d'imposition 1995;
b)
l'appelant est un employé du Collège
d'enseignement général et professionnel
Édouard-Montpetit (ci-après, le
« Collège » );
c) une
vérification effectuée par un vérificateur
de la Division des organismes de charité de l'Agence
des douanes et du revenu du Canada a démontré ce
qui suit :
i) dans le cadre d'un
programme intitulé « Fonds d'accroissement
du parc de micro-ordinateurs » :
A) il était convenu entre les
[sic] Fonds, le Collège et les employés du
Collège, que les employés pouvaient avoir, pour
leur usage exclusif, du matériel informatique de plus de
500 $, en échange d'un
« don » au Fonds, d'un montant
égal au prix d'achat du matériel
informatique;
B) le Fonds achetait le matériel
informatique choisi par l'employé-utilisateur;
C) le Fonds transférait au
Collège le matériel informatique choisi par
l'employé-utilisateur;
D) il n'existait aucune pièce
justificative venant attester du transfert du matériel
informatique du Fonds au Collège;
E) de plus, le Collège ne
comptabilisait pas dans ses registres le matériel
informatique qui lui était donné par le Fonds;
F) aussi, plusieurs factures de
matériel informatique (ci-après, les
« factures » ) étaient au nom du
Collège, alors que c'était le Fonds qui
commandait et payait ce matériel par ailleurs choisi par
l'employé-utilisateur;
G) le choix du matériel informatique
et du fournisseur de ce matériel revenait à
l'employé-utilisateur;
H) le matériel informatique choisi
par l'employé-utilisateur lui était ensuite
remis par le Collège;
I) aucune convention de prêt
n'était signée par les
employés-utilisateurs relativement à ce
matériel informatique, ni avec le Collège ni avec
le Fonds;
J) le matériel informatique
pouvait même être livré directement chez
l'employé-utilisateur par le fournisseur;
K) d'ailleurs, certaines factures indiquaient
même que le matériel informatique devait être
livré chez l'employé-utilisateur;
L) en aucun temps, le Fonds n'a
été en mesure de montrer le matériel
informatique acheté, la localisation du matériel ne
lui étant pas connue;
M) le Fonds établissait un reçu
fiscal à l'employé-utilisateur;
ii) l'appelant a versé au
Fonds un montant équivalent au montant inscrit sur le
reçu qu'il a présenté au Ministre;
iii) l'appelant pouvait lui-même
choisi [sic] le matériel informatique;
iv) ce matériel informatique
était réservé à l'usage exclusif
de l'appelant;
v) l'appelant pouvait utiliser ce
matériel informatique à sa résidence;
vi) l'appelant était responsable
de l'assurance, de l'entretien et de la réparation
du matériel informatique;
vii) l'appelant était personnellement
responsable de la destruction, de la perte ou du vol du
matériel informatique apporté à sa
résidence;
viii) le reçu indiquait un don d'une valeur
égale à l'équipement informatique mis
à la disposition de l'appelant;
[3] Monsieur Gonthier a admis
tous les faits énoncés par le ministre, à
l'exception de ceux aux 14 c) i) D), E), I), J), K) et L) et
de ceux aux 14 c) iv) et vii). Par contre, la preuve
présentée devant moi établit comme
étant avérés les faits énoncés
aux 14 c) i) D), E), J) et K) et aux 14 c) iv) et vii). En ce qui
a trait à 14 c) i) I), la preuve a
révélé qu'il y avait eu effectivement
prêt de l'équipement informatique à
monsieur Gonthier, et ce prêt est reflété par
la pièce A-1 qui a été produite par
monsieur Gonthier. Quant au fait énoncé à
14) c) i) L), il faut signaler que le représentant du
cégep a informé la vérificatrice que
certains des équipements pouvaient se trouver à la
résidence de professeurs ou de membres du personnel du
collège.
[4] Il découle de cette analyse
des faits énoncés dans la Réponse à
l'avis d'appel que l'ensemble de ces faits est
établi. Dans son témoignage, monsieur Gonthier
a reconnu qu'il avait remis une somme de 6 068 $
pour permettre soit au Fonds ou au cégep
d'acquérir un ordinateur que monsieur Gonthier
avait lui-même choisi et qu'il a utilisé
de façon prédominante chez lui pendant
l'année 1995 et les années subséquentes.
D'ailleurs, il continue à détenir cet
ordinateur même s'il est maintenant désuet
compte tenu du fait qu'il ne peut faire fonctionner
adéquatement des logiciels plus exigeants.
[5] Monsieur Gonthier a par contre
tenu à expliquer que l'ordinateur était un
outil, sinon essentiel, à tout le moins fort utile non
seulement pour la préparation de ses cours, mais aussi
pour la correction de travaux de laboratoire
exécutés par ses étudiants. Il a
estimé à 90 p. 100 l'utilisation de
l'ordinateur à des fins reliées à son
enseignement et à 10 p. 100 l'utilisation
à des fins personnelles.
[6] Monsieur Gonthier a reconnu
qu'avant l'année 1995 il faisait au Fonds des dons
de bienfaisance allant de 100 $ à 130 $, et que
ces dons se sont continués dans les années
subséquentes, de 1996 à 1998, jusqu'au moment
où on lui a refusé son crédit
d'impôt pour le don au Fonds. Le don de
6 068,10 $ en 1995 représente ainsi un
« don » exceptionnel.
Analyse
[7] La question fondamentale est de
savoir si la somme de 6 068,10 $ remise au Fonds
constitue un don au sens de la Loi de l'impôt sur le
revenu (Loi). La procureure de
l'intimée a cité plusieurs décisions,
dont notamment celle de mon collègue le juge Tardif dans
l'affaire Nadeau c. La Reine, 2001 DTC 406, rendue le
10 avril 2001. Elle a cité en outre plusieurs
décisions de la Cour fédérale (Division de
première instance ou Cour d'appel
fédérale), soit notamment, La Reine c.
Zandstra, [1974] 2 C.F. 254; Canada c. McBurney,
1985 A.C.F. no 821 (QL); The Queen v. Burns, 88
DTC 6101 (angl.), Cour fédérale,
1re inst., 22 janvier 1988 (T-17-84,
T-18-84, T-19-84).
[8] Comme le mot
« don » n'est pas défini dans la
Loi, il faut s'en remettre à son sens usuel.
Dans l'affaire Zandstra, on a cité plusieurs
définitions, dont notamment celle qu'on trouve dans
Halsbury, selon laquelle un don entre vifs est un
[traduction] « transfert [...] à une
autre [personne] à titre gratuit » . Dans
Black's Law Dictionary, on le définissait comme
[traduction] « un transfert volontaire d'un
bien sans contrepartie » .
[9] À ces définitions,
j'ajouterais celle de l'article 1806 du Code civil du
Québec (C.c.Q.) qui
édicte :
1806. La donation est le contrat par lequel
une personne, le donateur, transfère la
propriété d'un bien à titre gratuit
à une autre personne, le donataire; le transfert peut
aussi porter sur un démembrement du droit de
propriété ou sur tout autre droit dont on est
titulaire.
La donation peut être faite entre vifs ou à cause de
mort.
[Je souligne.]
Comme on peut le constater, cette définition correspond
à celle que l'on retrouve dans la common law.
Que l'on se réfère au C.c.Q. ou aux
définitions tirées de la common law, il est
de l'essence d'un don qu'il est un transfert d'un
bien à titre gratuit, sans aucune contrepartie.
[10] Ici, la preuve est claire : la
somme de 6 068 $ a été versée en
contrepartie de l'obtention de l'usage de
l'ordinateur. Il ne s'agit pas d'un transfert
d'un bien à titre gratuit. C'est la position
qu'a adoptée la vérificatrice lors de son
enquête et, à mon avis, c'est à bon droit
qu'elle en est venue à cette conclusion.
[11] Monsieur Gonthier fait valoir qu'il
était de bonne foi et que l'ordinateur devait
être utilisé principalement pour son travail
d'enseignant. Je n'ai aucun doute sur la bonne foi de
monsieur Gonthier. De plus, monsieur Gonthier a
témoigné de façon très honnête
à l'audience. Malheureusement pour lui, le fait que
l'ordinateur devait être utilisé pour son
travail d'enseignant n'est pas pertinent. Cela ne change
absolument rien en ce qui concerne les questions de savoir
s'il y a eu un don véritable et s'il s'agit
d'un transfert d'un bien sans contrepartie et à
titre gratuit.
[12] Le fait que le ministre n'a pas
imposé de pénalité constitue une
reconnaissance de la bonne foi de monsieur Gonthier. Le ministre
n'a pas jugé qu'il avait volontairement
participé à un stratagème
d'évasion fiscale. Monsieur Gonthier a, selon toute
vraisemblance, été entraîné dans un
stratagème qui était sans aucun doute voué
à l'échec. Je suis persuadé que si le
Fonds avait consulté un fiscaliste compétent,
celui-ci lui aurait certainement indiqué que ce
stratagème ne pouvait fonctionner.
[13] Je n'ai aucune hésitation
à conclure que la cotisation est bien fondée et que
l'appel de monsieur Gonthier doit être rejeté.
Il est regrettable que le résultat de toute cette affaire
place monsieur Gonthier dans une situation financière
difficile. Malheureusement, les contribuables canadiens n'ont
pas à supporter les frais de ce stratagème. Cette
cour a comme devoir d'appliquer la Loi de la
façon la plus juste possible en fonction des faits. Elle
n'a aucune compétence pour accorder des crédits
d'impôt à une personne qui n'y a pas
droit.
[14] Pour toutes ces raisons, l'appel
est rejeté.
Signé à Drummondville (Québec), ce
20e jour de janvier 2003.
J.C.C.I.