Date:
20020822
Dossier:
2002-377-EI
ENTRE
:
QUINCAILLERIE BEAUBIEN INC.,
appelante,
et
LE MINISTRE
DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Motifs du
jugement
Le juge
suppléant Somers, C.C.I.
[1]
Cet appel a été entendu à Montréal
(Québec), le 17 juillet 2002.
[2]
Par lettre en date du 8 novembre 2001, le ministre du Revenu
national (le « Ministre » ), informa
l'appelante de sa décision selon laquelle les emplois
exercés par Serge Blain et André Blain, les
travailleurs, pendant la période en litige, soit du
1er janvier 2000 au 26 avril 2001, lorsqu'à
son service, étaient assurables, au sens de la Loi sur
l'assurance-emploi (la « Loi » )
puisqu'il existait une relation employeur-employé
entre elle et les travailleurs.
[3]
Dans sa Réponse à l'avis d'appel, le
Ministre soutient qu'il est raisonnable de conclure, compte
tenu de la rétribution versée, des modalités
d'emploi ainsi que de la durée, la nature et
l'importance du travail accompli, que l'appelante et les
travailleurs auraient conclu entre eux un contrat de travail
à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu
de lien de dépendance.
[4]
Le paragraphe 5(1) de la Loi se lit en
partie comme suit :
5.(1)
Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi
assurable :
a)
un emploi
exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux
termes d'un contrat de louage de services ou
d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou
verbal, que l'employé reçoive sa
rémunération de l'employeur ou d'une autre
personne et que la rémunération soit
calculée soit au temps ou aux pièces, soit en
partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute
autre manière;
[...]
[5]
Les paragraphes 5(2) et 5(3) de la
Loi se lisent en partie comme suit :
(2)
N'est pas un emploi assurable :
[...]
i)
l'emploi dans le cadre duquel l'employeur et
l'employé ont entre eux un lien de
dépendance.
(3)
Pour l'application de l'alinéa (2)i):
a)
la question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de
dépendance est déterminée
conformément à la Loi de l'impôt sur le
revenu;
b)
l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes
liées au sens de cette loi, sont réputés ne
pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu
national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte
tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution
versée, les modalités d'emploi ainsi que la
durée, la nature et l'importance du travail accompli,
qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à
peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de
dépendance.
[6]
L'article 251 de la Loi de
l'impôt sur le revenu se lit en partie comme
suit :
Article 251 : Lien
de dépendance.
(1)
Pour l'application de la présente loi :
a)
des personnes liées sont réputées avoir
entre elles un lien de dépendance;
[...]
(2)
Définition de lien « personnes
liées » . Pour
l'application de la présente loi, sont des
« personnes liées » ou des personnes
liées entre elles :
a)
des particuliers unis par les liens du sang, du mariage ou de
l'adoption;
b)
une société et :
(i) une personne qui contrôle la société si
cette dernière est contrôlée par une
personne,
(ii) une personne qui est membre d'un groupe lié qui
contrôle la société,
[...]
[7]
Le fardeau de la preuve incombe à l'appelante. Cette
dernière se doit d'établir, selon la
prépondérance de la preuve, que la décision
du Ministre est mal fondée en fait et en droit. Chaque cas
est un cas d'espèce.
[8]
Le Ministre s'est fondé, pour rendre sa
décision, sur les présomptions de faits suivantes
lesquelles ont été admises ou niées par
l'appelante :
a)
l'appelante a été constituée en
société en 1973; (admis)
b)
l'appelante exploitait une quincaillerie ouverte sept jours
par semaine; (admis)
c)
l'entreprise employait de 20 à 30 personnes comme
caissiers, commis et vendeurs; (admis)
d)
durant la période en litige, les actionnaires de
l'appelante étaient :
Raymond Blain : 1 action de cat. C comportant 10 droits de
vote
Serge Blain : 1 action votante
André Blain : 1 action votante
Pauline Blain : 1 action votante (admis)
e)
Raymond Blain est le conjoint de Pauline et le père de
Serge et André; (admis)
f)
Raymond Blain est le seul actionnaire à avoir investi
financièrement dans l'entreprise; (admis)
g)
Serge Blain et André Blain ont payé 1 $ chacun leur
action; (admis)
h)
Raymond Blain travaille bénévolement pour
l'appelante; (admis)
i)
Raymond Blain n'a jamais renoncé à son droit de
contrôle de l'appelante; (nié)
j)
le financement de l'appelante était garanti par les
inventaires de l'entreprise; (admis)
ANDRÉ BLAIN
k)
André Blain est le gérant du personnel;
(admis)
l)
les tâches d'André Blain consistaient à
l'embauche du personnel, à la supervision des
employés, à s'occuper d'une partie des
achats de l'entreprise et du service à la
clientèle; (admis)
m)
André Blain travaillait à la place d'affaires
de l'entreprise; (admis)
n)
André Blain avait un horaire de travail qui suivait les
heures d'ouverture de l'entreprise;
(nié)
o)
André Blain travaillait 70 heures par semaine et il
prenait une journée de congé;
(nié)
p)
André Blain recevait une rémunération
hebdomadaire nette de 550 $ par semaine; (admis)
q)
André Blain avait des vacances et des journées de
maladie rémunérées par l'appelante;
(nié)
r)
André Blain n'a pas investi d'argent dans
l'entreprise; (admis)
s)
André Blain n'avait aucune dépense à
assumer dans le cadre de son travail; (admis)
t)
dans le cadre de son travail, André Blain n'assumait
pas de risque de perte, ni de chance de profit;
(nié)
u)
tous les outils et équipements utilisés dans le
cadre du travail d'André Blain appartiennent à
l'appelante; (admis)
v)
le travail d'André Blain faisait partie
intégrante des activités de l'appelante;
(admis)
SERGE
BLAIN
w)
Serge Blain est le responsable de la gestion administrative de
l'entreprise; (admis)
x)
les tâches de Serge Blain consistaient à
gérer le budget des achats et à négocier les
marges de crédit; (admis)
y)
Serge Blain travaillait à la place d'affaires de
l'entreprise; (admis)
z)
Serge Blain avait un horaire de travail qui suivait les heures
d'ouverture de l'entreprise; (nié)
aa)
Serge Blain travaillait 70 heures par semaine et il prenait une
journée de congé; (nié)
bb)
Serge Blain recevait une rémunération hebdomadaire
nette de 550 $ par semaine; (admis)
cc)
Serge Blain avait des vacances et des journées de maladie
rémunérées par l'appelante;
(nié)
dd)
Serge Blain n'a pas investi d'argent dans
l'entreprise; (admis)
ee)
Serge Blain n'avait aucune dépense à assumer
dans le cadre de son travail; (admis)
ff)
dans le cadre de son travail, Serge Blain n'assumait pas de
risque de perte, ni de chance de profit; (nié)
gg)
tous les outils et équipements utilisés dans le
cadre du travail de Serge Blain appartiennent à
l'appelante; (admis)
hh)
le travail de Serge Blain faisait partie intégrante des
activités de l'appelante; (admis)
[9]
L'appelante a été constituée en
société en 1973, exploitant une quincaillerie
ouverte sept jours par semaine. L'entreprise familiale
employait de 20 à 30 personnes comme caissiers,
commis et vendeurs. Le fondateur de l'entreprise, Raymond
Blain, a voulu intéresser ses enfants aux affaires de la
quincaillerie et, en 1994, une convention entre actionnaires par
laquelle les actions de l'appelante étaient
distribuées, a été signée par Raymond
Blain, le père, Pauline Blain, la mère, et leurs
enfants Serge Blain et André Blain (pièce
I-1).
[10] Raymond
Blain est le seul actionnaire à avoir investi de
l'argent dans l'appelante. Il travaille
bénévolement pour l'appelante, mais n'a pas
renoncé à son droit de contrôle sur
celle-ci.
[11] Les
actionnaires salariés, soit Pauline Blain, Serge et
André Blain, travaillent régulièrement. Les
actionna ires décident eux-mêmes de leur salaire et
reçoivent, à la fin de l'année, un bonus
basé sur les profits de l'entreprise.
[12] Serge
Blain, le seul travailleur à témoigner à
l'audience, a affirmé que le père, Raymond
Blain, n'avait pas renoncé à son droit de
vote.
[13] Raymond
Blain, retraité, a été le seul autre
témoin à l'audience. Il a expliqué les
termes de la convention entre actionnaire en ces termes : «
les enfants étaient intéressés à
gérer l'entreprise » .
[14] Serge
Blain était le gérant de la quincaillerie alors
qu'André s'occupait du personnel. La quincaillerie
était ouverte sept jours par semaine et les
deux travailleurs oeuvraient de 70 à 80 heures par
semaine. En plus de son travail à titre de gérant
de l'appelante, Serge Blain s'occupait également
de l'administration, travail qu'il exécutait
à la fermeture le soir.
[15] Les deux
travailleurs bénéficiaient de deux à trois
semaines de vacances par année et avaient droit aux
bénéfices marginaux. En cas de maladie les
travailleurs auraient reçu leur « plein salaire
» puisqu'ils étaient couverts par une police
d'assurance dont les primes étaient payées par
l'appelante.
[16] Les
décisions concernant l'appelante sont prises par
consensus entre les actionnaires. Les deux frères, les
travailleurs, ont l'autorisation de signer les chèques
conjointement alors que le père, Raymond Blain, peut
signer seul. L'équipement dans l'entreprise
appartient à l'appelante. Les profits
réalisés ou les pertes subies étaient
ceux/celles de l'appelante; les travailleurs, à titre
d'actionnaires, recevaient un bonus à la fin de
l'année. Le contrôle de l'entreprise
était exercé par le conseil d'administration
composé du père, de la mère et des deux
enfants.
[17] Dans la
cause Roxboro Excavation c. Canada (ministre du Revenu
national - M.R.N.) (97-1467(UI), le juge Tardif de cette Cour
déclarait, dans son jugement en date du 15 janvier 1999
:
Y avait-il
un lien de subordination entre les intervenants et la compagnie
dans et pour l'exercice du travail qu'ils accomplissaient
à l'intérieur de leur mission respective? Je
crois que la compagnie, qui chapeautait le travail
exécuté par les frères Théorêt,
avait pleinement le droit et le pouvoir d'intervention. Le
fait que la compagnie n'ait pas exercé ce pouvoir de
contrôle et le fait que ceux qui exécutaient et
réalisaient le travail ne se croient pas assujettis
à un tel pouvoir de contrôle et ne se sentent pas
subordonnés dans et lors de l'exécution de leur
travail n'ont pas pour effet de faire disparaître,
réduire ou limiter le pouvoir
d'intervention.
[18] Dans la
cause sous étude il existait un lien de subordination
entre les travailleurs et l'appelante. Les deux travailleurs
avaient des responsabilités opérationnelles dans
l'entreprise que ce soit à titre de gérant ou
responsable du personnel.
[19] Les
travailleurs étaient actionnaires de l'appelante et
faisaient partie du conseil d'administration. Il ne faut pas
confondre les deux tâches de membre du conseil
d'administration et de directeur général ou
personne en charge du personnel. Il existait un lien de
subordination entre les travailleurs et l'appelante et ce par
la voie du bureau de direction.
[20] Les
relations contractuelles entre l'appelante et les
travailleurs rencontrent les exigences des critères
suivants énoncés dans la cause Wiebe Door
Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 : le degré
de contrôle, la propriété des instruments de
travail, les chances de bénéfice et les risques de
perte et l'intégration de l'employé dans
l'entreprise de l'employeur.
[21] Les
travailleurs et l'appelante sont liés par un contrat
de louage de services. Le Ministre soutient qu'il est
raisonnable de conclure, compte tenu de la rétribution
versée, des modalités d'emploi ainsi que de la
durée, la nature et l'importance du travail accompli,
que l'appelante et les travailleurs auraient conclu entre eux
un contrat de travail à peu près semblable
s'ils n'avaient pas eu de lien de
dépendance.
[22] En vertu
de la Loi, il existe un lien de dépendance entre
l'appelante et les travailleurs mais le Ministre peut exercer
son pouvoir discrétionnaire pour déterminer si les
modalités d'emploi sont raisonnables malgré ce
lien. Si le Ministre a exercé son pouvoir selon les
principes de droit, la Cour n'est pas justifiée de
substituer son opinion à celle du Ministre.
[23] Les
travailleurs recevaient un salaire hebdomadaire de 550 $ et
oeuvraient six jours par semaine pour un total d'environ 75
heures. Il est à noter que la quincaillerie était
ouverte sept jours par semaine. Les travailleurs étaient
rémunérés un salaire fixe et leurs heures
n'étaient pas comptabilisées. Il n'existe
aucune preuve que les salaires étaient
déraisonnables.
[24] Les
travailleurs avaient droit à deux ou trois semaines de
vacances par année, ce qui est raisonnable
d'après les normes établies dans notre
système économique. De plus, ceux-ci étaient
couverts par une police d'assurance, dont les primes
étaient payées par l'appelante, leur
garantissant leur « plein salaire » en cas de maladie
ou d'incapacité, ce qui est un avantage normal dans
une entreprise de cette envergure.
[25] Il ne faut
pas confondre les tâches exécutées à
titre d'employé et celles exécutées
à titre d'actionnaire faisant partie du bureau
d'administration. La détermination de la
rémunération pour du travail exécuté
tout en faisant partie du bureau d'administration est
laissée à la discrétion de
celui-ci.
[26] Tenant
compte de toutes les circonstances et selon la preuve, le
Ministre a exercé sa discrétion de façon
judicieuse et non abusive. Les travailleurs occupaient un emploi
assurable pendant la période en litige puisque ces emplois
rencontraient les exigences d'un contrat de louage de
services. De plus, il a été établi que
l'appelante et les travailleurs auraient conclu entre eux un
contrat de travail à peu près semblable s'ils
n'avaient pas eu de lien de dépendance.
[27]
L'appel est rejeté et la décision du Ministre
est confirmée.
Signé
à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'août
2002.
J.S.C.C.I.
No
DU DOSSIER DE LA COUR :
2002-377(EI)
INTITULÉ DE LA CAUSE
:
Quincaillerie Beaubien Inc. et M.R.N.
LIEU DE
L'AUDIENCE
:
Montréal (Québec)
DATE DE
L'AUDIENCE
:
le 17 juillet 2002
MOTIFS DE
JUGEMENT PAR :
l'honorable juge suppléant J.F.Somers
DATE DU
JUGEMENT
:
le 22 août 2002
COMPARUTIONS
:
Pour
l'appelante
:
Me Paul-André Trudeau
Pour
l'intimé
:
Me Stéphane Arcelin
AVOCAT(E)
INSCRIT(E) AU DOSSIER :
Pour
l'appelante :
Nom
:
Me Paul-André Trudeau
Étude
:
Me Paul-André Trudeau
Montréal (Québec)
Pour
l'intimé
:
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada
2002-377(EI)
ENTRE
:
QUINCAILLERIE BEAUBIEN INC.,
appelante,
et
LE MINISTRE
DU REVENU NATIONAL,
intimé.
Appel
entendu le 17 juillet 2002 à Montréal
(Québec), par
l'honorable
juge suppléant J.F. Somers
Comparutions
Avocat de
l'appelante
:
Me Paul-André Trudeau
Avocat de
l'intimé
:
Me Stéphane Arcelin
JUGEMENT
L'appel est rejeté et la décision rendue par le
Ministre est confirmée selon les motifs du jugement
ci-joints.
Signé
à Ottawa, Canada, ce 22e jour d'août
2002.
J.S.C.C.I.