Date:
20021212
Dossier:
2000-2403-IT-G
ENTRE
:
GASTON
BOLDUC,
appelant,
et
SA
MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Motifsdu jugement
Le juge
Archambault, C.C.I.
[1]
Monsieur Paulin Bolduc vivait en 1992 avec son épouse et
ses quatre enfants dans la région pittoresque du lac
Massawippi. Depuis novembre 1991, il était toutefois
confronté à un sérieux
problème : son assureur refusait de renouveler
à son échéance, soit le 27 février
1992, l'assurance sur sa Jeep Wagon 1990 parce qu'il
avait été accusé d'importation de
drogue. Pour résoudre ce problème, Paulin Bolduc a
demandé à son frère, Gaston Bolduc,
l'appelant en l'espèce, de devenir le
propriétaire inscrit du véhicule. Les registres de
la Société de l'assurance automobile du
Québec (SAAQ) indiquent pour le
6 février 1992 que Gaston Bolduc a acquis
la Jeep Wagon par donation de Paulin Bolduc et, en raison de leur
lien de parenté, aucune taxe de vente n'était
exigible, même si la valeur
du véhicule s'élevait à
19 450 $.
[2]
Le 4 décembre 1992, le ministre du Revenu national
(ministre) a établi à l'égard des
années d'imposition 1986 à 1990 des nouvelles
cotisations augmentant la dette fiscale de Paulin Bolduc d'au
moins 111 715 $. En fait, le total de la dette fiscale
au 6 février 1992 s'élevait à
264 603 $. Comme ses mesures de perception ne lui
avaient pas permis de recouvrer toutes les sommes dues par Paulin
Bolduc, le ministre a, le 12 février 1996,
établi une cotisation en vertu de l'article 160 de la
Loi de l'impôt sur le revenu (Loi)
tenant Gaston Bolduc solidairement responsable de la dette
fiscale de son frère jusqu'à concurrence de
19 450 $.
[3]
Les parties s'entendent pour reconnaître que la seule
question en litige concerne l'existence d'un transfert du
véhicule effectué par Paulin Bolduc en faveur
de Gaston Bolduc le 6 février 1992. Ce
dernier prétend qu'il n'y a eu aucun transfert
puisqu'il n'agissait qu'en tant que prête-nom.
La preuve faite au cours de l'audience semble confirmer cette
assertion. En effet, Gaston Bolduc n'a jamais utilisé
ce véhicule à des fins personnelles. Au contraire,
il l'a remis à son frère et à sa
belle-soeur, qui étaient les deux principaux conducteurs
du véhicule. C'est ce que Gaston Bolduc aurait
indiqué au courtier d'assurances par
l'intermédiaire duquel il avait obtenu l'assurance
pour le véhicule.
[4]
Au cours de l'été de l'année
suivante, le véhicule, alors conduit par Paulin Bolduc, a
pris feu et l'expert en sinistres a reconnu la perte totale
du véhicule, dont il a fixé la valeur à
14 108 $. Gaston Bolduc a reçu ce montant comme
indemnité et l'a utilisé en partie pour louer
le 3 novembre 1993 une nouvelle voiture, une GMC Suburban. Un
acompte de 7 061 $ a été versé
lors de la signature du contrat de location et Gaston Bolduc
s'est engagé à verser un loyer un 633 $
par mois. Ce véhicule fut alors remis à
l'épouse de Paulin Bolduc, qui a
été apparemment la seule conductrice de la
fourgonnette, Paulin Bolduc étant à cette
époque à l'extérieur du pays.
[5]
Quelques mois plus tard, l'épouse de Paulin Bolduc a
eu aussi un accident. À nouveau, l'assureur de Gaston
Bolduc a dû verser la valeur du véhicule, selon
toute vraisemblance à GMAC. Selon le témoignage de
Gaston Bolduc, le solde restant de l'indemnité
versée pour la perte de la Jeep Wagon, soit une somme de
471 $, a été remis à
l'épouse de Paulin Bolduc. Par la suite, c'est
elle qui a fait l'acquisition d'un véhicule
d'occasion pour ses propres besoins.
Position des parties
[6]
Le procureur de Gaston Bolduc soutient que l'article 160 de
la Loi ne s'applique pas ici parce qu'il n'y a
pas eu véritablement de transfert le 6 février 1992
et que Gaston Bolduc n'a tiré aucun avantage de
l'opération en question. Il s'agissait d'un
transfert simulé. Gaston Bolduc n'agissait que comme
prête-nom pour le bénéfice de son
frère et, par conséquent, n'a acquis aucun bien
le 6 février 1992. Contrairement à ce qui
est indiqué dans les registres de la SAAQ, il n'y a
pas eu de don véritable effectué par Paulin en
faveur de son frère Gaston parce qu'il n'y a eu
aucune intention libérale : il ne s'est produit
aucun appauvrissement du patrimoine de Paulin Bolduc et aucun
enrichissement de celui de Gaston Bolduc. Le procureur se fonde
sur les décisions rendues par cette cour dans les affaires
Wink v. M.N.R., 88 DTC 1654, et Delisle v. The
Queen, 95 DTC 650. Dans ces deux affaires, cette cour a
décidé que l'article 160 de la Loi ne
s'applique pas lorsqu'il y a transfert d'un bien a un
prête-nom ou à un mandataire.
[7]
Le procureur de l'intimée invoque deux arguments. Tout
d'abord, il se fonde sur l'article 1212 du Code civil
du Bas-Canada (C.c.B.C.) pour conclure
qu'il y a eu transfert de la Jeep Wagon en vertu du contrat
apparent de donation. Cet article édicte ce qui
suit :
1212. Les
contre-lettres n'ont leur effet qu'entre les parties
contractantes; elles ne font point preuve contre les
tiers.
[8]
À l'appui de sa
position, le procureur de l'intimée cite la
décision rendue par la juge Danielle Côté de
la Cour du Québec dans Haeck c. Le sous-ministre du
Revenu du Québec, en ligne :
Société québécoise d'information
juridique < http:// www.soquij.qc.ca/cgi-bin/jugement2.doc > .
Dans cette affaire, le procureur du sous-ministre se fondait sur
l'article 1452 du Code civil du Québec (C.c.Q.), qui est analogue à
l'article 1212 C.c.B.C., pour refuser la perte en
capital déclarée par le contribuable. Le
sous-ministre se fondait sur un acte apparent
révélant un prix de vente de 175 000 $
alors que, selon une contre-lettre, le prix réel ne
s'élevait qu'à 148 750 $. La juge
Côté a distingué entre le rôle de
« cotiseur » du sous-ministre et son
rôle de percepteur. Lorsqu'il agit comme
« cotiseur » , il n'est pas
considéré comme un tiers aux fins de l'article
1452 C.c.Q. C'est à bon droit, à mon
avis, qu'elle a décidé que, lorsque le
sous-ministre agit comme « cotiseur » , il
doit calculer l'impôt dû par un contribuable
selon la situation réelle. À cet égard, elle
se fondait en partie sur la décision rendue par ma
collègue la juge Lamarre Proulx dans Transport
Desgagnés Inc. c. M.N.R., 91 DTC 264.
[9]
Par contre, lorsque le sous-ministre agit comme percepteur, il
devrait être considéré comme un tiers
visé par l'article 1452 C.c.Q. Voici ce que la
juge Côté écrit au paragraphe 33 de
ses motifs :
Par
ailleurs, une fois l'impôt dû établi, il
est normal que le contribuable ne puisse opposer au sous-ministre
une contre-lettre ayant pour effet de l'empêcher de
percevoir cet impôt. Le sous-ministre est alors un
tiers ayant intérêt à invoquer l'acte
apparent pour sauvegarder les droits qu'il détient
contre le contribuable à savoir : le droit
d'obtenir, à même le patrimoine de ce dernier,
le paiement de l'impôt réellement
dû.
[10] La juge
Côté s'est fondée aussi sur la
décision rendue par la Cour d'appel
fédérale dans Transport H. Cordeau Inc. v. The
Queen, 99 DTC 5765. Dans cette affaire, la cour avait
à déterminer si le ministre pouvait, lors d'une
saisie-arrêt en mains tierces, se voir opposer par le tiers
saisi une contre-lettre intervenue entre lui et le
débiteur du ministre. La Cour d'appel a donc eu
à se pencher sur la portée de l'article 1452
C.c.Q. et à déterminer si le ministre
pouvait être considéré comme un tiers de
bonne foi qui a subi un préjudice par suite de l'acte
apparent. De plus, la Cour d'appel s'est demandé
s'il fallait que le ministre ait été
visé par la simulation. Voici ce que le juge
Létourneau écrit, aux paragraphes 20 à 23 de
ses motifs sur la première question :
[20] Aussi
bien en droit français qu'en droit
québécois, les tiers de bonne foi peuvent invoquer
l'acte apparent même en l'absence de
préjudice résultant de la simulation. Au surplus,
il n'est pas nécessaire comme dans l'action
paulienne (maintenant devenue au Québec sous le nouveau
Code une action en déclaration
d'inopposabilité, art. 1631) que la simulation ou la
tromperie ait été dirigée contre la personne
qui se prévaut de l'acte apparent. Reprenant ce
principe, le juge Rivard de la Cour d'appel du Québec
écrit dans l'affaire Gilbert,
ès-qualité,
précitée :
Il n'y
a même pas lieu de distinguer si la simulation occasionnait
ou non, originairement, aux créanciers un
préjudice: ce serait confondre les conditions de
l'action paulienne et celle du recours en
simulation.
[21] Les
propos des auteurs Baudry-Lacantinerie et Barde vont dans le
même sens :
Enfin, il
n'est pas nécessaire qu'ils [les tiers]
établissent que la contre-lettre occasionnait, à
l'origine, un préjudice; il suffit qu'au moment
où on la leur oppose, ils aient intérêt
à la repousser.
[22] Il est
erroné de prétendre ou de croire dans le
présent litige que l'intimée ne peut se
prévaloir de l'acte ostensible que s'il lui a
servi à déterminer et fixer le montant de la
cotisation de l'impôt dû par son débiteur.
C'est, d'une part, exiger que l'intimée
subisse, de la simulation, un préjudice dès
l'origine. Ce serait, d'autre part, restreindre de
manière injustifiée la portée et le champ
d'application de l'article 1452 du Code en le limitant au
cas où l'acte apparent a contribué en tout ou
en partie à la détermination du montant de la
créance détenue par le créancier
chirographaire. Or, cette créance n'a pas à
naître ou à subir l'influence de l'acte
apparent ou de la convention des parties: elle peut naître
d'un délit ou, comme en l'espèce, de la
loi. Cet extrait des auteurs Planiol et Ripert résume bien
le principe applicable en semblable
matière :
Les tiers
ne sont pas seulement ceux qui, en passant un contrat, ont pris
en considération l'acte apparent et compté sur
la situation qu'il crée, par exemple, ont acquis des
droits réels du propriétaire apparent. Les
créanciers chirographaires du propriétaire apparent
sont également des tiers. Ils sont à l'abri de
la revendication, par le porteur d'une contre-lettre qui le
reconnaît propriétaire du bien qu'ils ont saisi,
sans qu'il soit nécessaire que, lorsqu'ils sont
devenus créanciers, leur débiteur en fut
déjà propriétaire apparent. De même,
ils peuvent écarter le concours d'un créancier,
dont le titre est une contre-lettre, sans qu'il soit
nécessaire que leurs titres soient antérieurs au
sien, ni que la simulation ait eu pour but de causer
préjudice à leurs droits.
[23] Il
suffit, comme c'est le cas pour l'intimée au
moment où elle veut exécuter sa créance,
qu'elle ait un intérêt à se
prévaloir de l'acte apparent et à repousser la
contre-lettre.
[11] Quant
à la deuxième question, le juge Létourneau a
conclu qu'il n'était pas nécessaire
d'avoir voulu tromper le fisc pour que l'article 1452
C.c.Q. s'applique. Il décrit ainsi le fondement
de cette règle du Code civil :
[29] De fait, au terme de l'article 1452, le tiers
de bonne foi a le choix de se prévaloir de l'acte
ostensible ou de la contre-lettre, selon son meilleur
intérêt. Il s'agit là de la sanction de
la simulation par contre-lettre car, comme le mentionnent les
auteurs Mazeaud, précités, à la page 925,
même si les contractants n'ont pas cherché
à tromper le fisc ou leurs créanciers par leur
simulation, il ne faut pas "oublier que les parties ne se
contentent pas de ne point révéler le contrat;
elles font plus: pour assurer le secret de l'acte, elles
créent une apparence mensongère, elles passent un
acte ostensible, qui est faux; elles trompent toutes les
personnes qui auront connaissance de cet acte
simulé". Le législateur a voulu
protéger le tiers qui se prévaut de l'acte
ostensible après "avoir accordé aux apparences
une confiance qui mérite de n'être pas
trompée".
[30] Les auteurs Mazeaud, précités,
à la page 926, décrivent ainsi l'approche
choisie par le législateur français dans sa lutte
à la simulation :
Il déroge
aux règles normales des effets et de
l'opposabilité des contrats : d'une part, en
déclarant que, dans certains cas, les parties sont tenues
d'exécuter non le contrat véritable
qu'elles ont conclu, mais l'acte apparent; d'autre
part, en permettant à toutes personnes qui ont
été trompées par l'acte apparent, de se
prévaloir de cet acte et de méconnaître le
contrat véritable lorsqu'elles y ont
intérêt. Dans tous les cas, l'acte apparent
l'emporte sur l'acte réel; les règles
de la contre-lettre constituent une application de la
théorie générale de
l'apparence.
Il permet
à toute personne intéressée à
rétablir la situation véritable de faire constater
la simulation, en intentant l'action en déclaration
de simulation. Cette fois, c'est l'acte réel
qui l'emporte sur l'acte apparent.
Cette
approche n'est pas différente de celle retenue par le
législateur québécois dans l'article
1452 du Code.
[12] Comme
deuxième argument, le procureur de l'intimée
soutient qu'en l'absence d'un commencement de preuve,
la preuve de la contre-lettre ne pouvait être faite par une
simple preuve testimoniale. Il a cité à cet
égard l'article 2863 C.c.Q., qui
édicte :
Les parties
à un acte juridique constaté par un écrit ne
peuvent, par témoignage, le contredire ou en changer les
termes, à moins qu'il n'y ait un commencement de
preuve.
Analyse
[13] Le
procureur de Gaston Bolduc soutient que son client ne devrait pas
être tenu responsable de l'impôt de son
frère puisqu'il n'a tiré aucun avantage du
transfert apparent du véhicule effectué en
février 1992. Son patrimoine ne s'est pas enrichi du
véhicule de son frère. Tout d'abord, il
n'est pas nécessaire, pour que l'article 160
de la Loi s'applique, qu'il y ait eu un avantage
conféré au bénéficiaire du transfert.
La notion d'avantage est absente de cette disposition. Tout
ce qu'il prévoit, c'est que la
responsabilité du bénéficiaire est
limitée au montant représentant la
différence entre la juste valeur marchande du bien
transféré et la juste valeur marchande de la
contrepartie qu'il a donnée.
[14] À
mon avis, le premier argument invoqué par
l'intimée est bien fondé. Comme le
révèlent les passages précités
tirés de la décision de la Cour d'appel
fédérale dans Transport H. Cordeau Inc.,
lorsque le ministre agit comme percepteur, il peut se
prévaloir d'un article comme l'article 1212
C.c.B.C.; et l'établissement d'une
cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi est une
mesure de perception. Comme le transfert simulé a eu lieu
en 1992, avant l'entrée en vigueur du Code civil du
Québec, il faut appliquer ici les dispositions de
l'ancien Code et, en particulier, l'article 1212
C.c.B.C.
[15] Rien dans
la Loi ne s'oppose à ce que le ministre puisse,
dans l'application de la Loi au Québec,
bénéficier des dispositions du C.c.B.C. et
du C.c.Q. portant sur les effets d'un contrat
intervenu au Québec. De plus, l'article 1212
C.c.B.C. est une règle de preuve applicable dans
les procédures relevant de l'autorité
législative du Parlement canadien et exercées dans
la province du Québec (article 40 de la Loi sur la
preuve du Canada). Nous sommes ici en présence
d'une simulation puisqu'on trouve les deux composantes
requises, soit l'élément
matériel et l'élément intentionnel. Ces
éléments sont bien décrits par le professeur
Royer dans La preuve civile, 2e éd.,
Cowansville (Qc), Yvon Blais, 1995 au no
1568 :
L'élément
matériel consiste dans
l'existence de deux actes distincts, soit l'acte
apparent qui renferme ce que les parties veulent faire
croire aux tiers et l'acte secret qui exprime
l'accord véritable. Si ce dernier est écrit, on
le désigne sous le nom de contre-lettre.
L'élément intentionnel
consiste dans la volonté de tromper les
tiers sur l'existence ou le contenu d'une
convention.
[Je souligne.]
[16] Gaston
Bolduc et son frère Paulin se sont présentés
au bureau de la SAAQ et ont indiqué que Paulin
transférait la voiture à Gaston par donation
(contrat apparent). De plus, lorsque Gaston
a obtenu l'assurance pour ce véhicule, il s'est
déclaré le propriétaire de celui-ci. Or, aux
termes d'une entente verbale secrète (contrat secret),
Gaston n'agissait qu'en tant que simple
prête-nom pour son frère et, contrairement
à ce qui est indiqué dans les registres de la SAAQ,
il n'est pas devenu le véritable propriétaire
du véhicule. L'assureur est le tiers qu'on a voulu
tromper. Or, il ressort de l'article 1212 C.B.C. qu'on ne peut
opposer à un tiers une contre-lettre. Même si
l'entente verbale ne constitue pas une contre-lettre au sens
étroit, car une contre-lettre doit être un document
écrit, je suis d'avis que cet article s'applique
à tout acte de simulation. C'est aussi la conclusion
qu'adoptait la Cour du Banc du Roi dans Gilbert v.
Lefaivre (1927), 43 B.R. 557, aux pages 559 et 560 :
Telle
que formulée, la règle suppose l'existence
d'une contre-lettre; mais l'article 1212 ne
concerne vraiment que les effets de l'opération
concernée dans la contre-lettre, et elle doit
s'appliquer au cas de simulation, quand même elle
serait établie autrement que par contre-lettre.
[...]
S'il en était autrement, il faudrait dire
que les conventions secrètes ayant pour but d'annuler
l'effet d'un acte apparent ont plus de force, quand elles
sont verbales, que si elles sont faites par une contre-lettre
écrite, qui prouve directement la simulation.
[17] De plus,
cette approche est en conformité avec
l'interprétation adoptée par le juge Tremblay
dans Jennewein et Le ministre du Revenu National, 91
DTC 594, aux pages 598 et 599 :
La
lecture de ces deux textes semble claire. Toute contre-lettre
est inopposable aux tiers. Dans un premier temps, on peut se
demander si une contre-lettre doit être écrite. La
jurisprudence et la doctrine québécoises, fortement
inspirées par la doctrine française, sont claires
à cet effet. Il ne fait plus aucun doute que toute
simulation implique nécessairement une contre-lettre bien
qu'il n'y ait aucun écrit.
[18] En vertu de
l'acte apparent, la Jeep Wagon a été
transférée par Paulin à son frère
Gaston et ces derniers ne peuvent opposer les effets de
l'acte secret au ministre, qui a agi comme percepteur. Par
conséquent, il y a eu transfert et toutes les conditions
d'application de l'article 160 de la Loi sont
réunies.
[19] Même
si ce n'est pas requis, je vais me prononcer sur le
deuxième argument invoqué par le procureur de
l'intimée : celui selon lequel on ne peut
contredire par un témoignage un document écrit. Je
crois qu'il est mal fondé. Nous sommes ici dans une
situation singulière. Il n'est pas en preuve que la
donation s'est faite par acte notarié. Il semble
plutôt qu'il y ait eu entente verbale de don,
accompagnée de délivrance, ce qu'on appelle
communément un don manuel. Dans ce cas, le Code
civil n'exige pas un acte notarié
(article 776 C.c.B.C.). On ne peut donc pas
opposer l'exception voulant qu'on ne puisse contredire un
acte écrit.
[20] De plus,
même s'il y avait eu acte notarié, le procureur
de l'intimée ne s'est pas opposé en temps
utile à la présentation d'une preuve
testimoniale contredisant un acte écrit. Il ne s'y est
opposé que dans sa plaidoirie. Il aurait fallu qu'il
le fasse au cours du témoignage des frères Bolduc.
Au stade de la
plaidoirie, il était trop tard. Voici ce
qu'écrit le professeur Ducharme, dans Précis
de la preuve, 5e éd., Montréal, Wilson &
Lafleur, 1996 au no 1347 :
1347. Devant le
tribunal de première instance, une partie doit
également faire preuve de diligence lorsqu'elle veut
s'opposer à une preuve illégale. Est
certainement faite en temps utile l'objection formulée
au moment même où la partie adverse
s'apprête à faire une preuve illégale ou
immédiatement après que cette preuve a
été faite. Si, cependant, une partie ne
s'oppose pas sur-le-champ à une telle preuve,
peut-elle le faire plus tard? Même s'il existe des
décisions où l'on a donné effet à
une objection faite après la clôture de
l'enquête, nous estimons que, à ce stade, toute
objection devrait être considérée comme
tardive et être rejetée. Nous invoquons à ce
propos les motifs de M. le juge Taschereau dans la cause
Gervais c. McCarthy :
Nous sommes
d'avis qu'une partie qui assiste à une
enquête et n'objecte pas à une preuve
illégale offerte par la partie adverse ne peut ensuite se
prévaloir de l'illégalité de cette
preuve. Si l'objection eut
été prise lorsque la preuve a été
offerte, il est possible qu'un commencement de preuve par
écrit, une preuve complète peut-être,
eût pu être faite. Mais tendre un piège
à son adversaire, éviter soigneusement de le mettre
sur ses gardes, afin d'invoquer contre lui plus tard une
telle illégalité quand il ne lui sera plus possible
d'y remédier, ou afin de permettre à la cour de
le faire d'office, comme il a été fait par la
Cour supérieure dans l'instance, c'est ce qui
pourrait être permis.
[Notes omises.]
[21]
De plus, la Cour n'avait pas
d'obligation d'intervenir.
1108. La prohibition
de l'article 2863 C.c.Q. n'est pas d'ordre public. Si
une partie, en l'absence de toute objection de la part de son
adversaire, a recours à une preuve testimoniale afin de
contredire les termes d'un écrit, le tribunal ne
pourra pas, comme
le prévoit
l'article 2859 C.c.Q., intervenir d'office afin
d'écarter cette preuve et il devra en tenir compte aux
fins de la solution du litige.
[Notes
omises.]
[22] Avant de
terminer, j'aimerais faire un dernier commentaire.
Contrairement à l'impression donnée lors de
l'audience, ce n'est pas la première fois que
cette cour a eu à décider si le ministre peut se
prévaloir de l'article 1212 C.B.C. ou de
l'article 1452 C.c.Q. dans l'application de
la l'article 160 de la Loi. En effet, le juge
Tremblay, dans les affaires Martel v. The Queen,
98 DTC 2012, et Jennewein
(précitée) a conclu à
l'applicabilité des articles 1212 C.B.C. et
1452 C.c.Q. dans le contexte de l'article 160 de
la Loi. Dans l'affaire Martel, on avait aussi
cité l'affaire Delisle (précitée)
mentionnée par le procureur de Gaston Bolduc. C'est
d'ailleurs probablement en raison de cette affaire que le
juge Tremblay s'est demandé si le résultat
obtenu au Québec en appliquant l'article 1452
C.c.Q. pourrait être différent dans les
provinces canadiennes de common law. Voici ce qu'il
écrit au paragraphe 36 :
On peut se
demander si les faits en cause se passaient dans une autre
province où n'existent pas le Code civil ni la
contre-lettre, est-ce que l'appel devrait être
accordé. La réponse est "non" parce
qu'on appliquerait la théorie de l'Estoppel par
représentation.
[23] Pour tous
ces motifs, l'appel de monsieur Gaston Bolduc est
rejeté avec dépens en faveur de
l'intimée.
Signé
à Ottawa, Canada, ce 12e jour de
décembre 2002.
J.C.C.I.
No
DU DOSSIER DE LA COUR
:
2000-2403(IT)G
INTITULÉ DE LA CAUSE
:
GASTON BOLDUC
et Sa Majesté la Reine
LIEU DE
L'AUDIENCE
:
Sherbrooke (Québec)
DATE DE
L'AUDIENCE
:
25 avril 2002
MOTIFS DE
JUGEMENT PAR
:
L'honorable juge Pierre Archambault
DATE DU
JUGEMENT
:
12 décembre 2002
COMPARUTIONS
:
Pour
l'appelant
:
Me Ronald Fecteau
Pour
l'intimée
:
Me Simon-Nicolas Crépin
AVOCAT INSCRIT
AU DOSSIER :
Pour
l'appelant:
Nom
:
Me Ronald Fecteau
Étude
:
MONTY COULOMBE
Sherbrooke (Québec)
Pour
l'intimé(e)
:
Morris Rosenberg
Sous-procureur général du Canada
Ottawa, Canada
2000-2403(IT)G
ENTRE
:
GASTON
BOLDUC,
appelant,
et
SA
MAJESTÉ LA REINE,
intimée.
Appel
entendu le 25 avril 2002 à Sherbrooke (Québec)
par
l'honorable
juge Pierre Archambault
Comparutions
Avocat de
l'appelant
:
Me Ronald Fecteau
Avocat de
l'intimée
:
Me Simon-Nicolas Crépin
JUGEMENT
L'appel de la cotisation portant le numéro 09264
émis en vertu du paragraphe 160 (2) de la Loi de
l'impôt sur le revenu est rejeté avec
dépens en faveur de l'intimée.
Signé
à Ottawa, Canada, ce 12e jour de
décembre 2002.
J.C.C.I.