Le
juge
Joyal:
—La
demanderesse
s'oppose
à
un
avis
de
nouvelle
cotisation
daté
du
5
janvier,
1984,
dirigé
contre
elle
pour
l'exercice
financier
terminé
le
31
octobre,
1981.
La
défenderesse,
sous
la
main
de
son
Ministre
du
Revenu
national,
refusait
dans
cet
avis
d'accorder
une
dépense
de
$250,000
payable
comme
boni
à
deux
des
administrateurs
de
la
demanderesse.
Les
deux
administrateurs
en
question
étaient
madame
Rita
Lachapelle,
présidente
de
la
société
demanderesse
et
monsieur
Paul
Lachapelle,
beau-
frère
de
la
présidente.
La
répartition
du
boni
était
au
montant
de
$210,000
et
de
$40,000
respectivement.
Ce
boni
avait
pour
effet
de
faire
subir
une
perte
dans
les
opérations
de
la
demanderesse
pour
l'année
1981.
Quelques
mois
plus
tard,
les
bénéficiaires
du
boni
s'accordaient
à
annuler
le
boni,
et
d'en
verser
le
montant
comme
revenu
pour
l'année
1982.
L'ensemble
de
toute
cette
transaction
permettait
à
la
demanderesse
de
jouir
d'un
dégrèvement
d'impôt
sous
l'égide
de
l'article
125
de
la
Loi
de
l'impôt
sur
le
revenu
qui
accorde
un
taux
d'imposition
avantageux
aux
petites
entreprises.
La
demanderesse
demande
que
la
nouvelle
cotisation
soit
annulée
et
que
la
défenderesse
fasse
les
ajustements
nécessaires
pour
fins
d'impôts
pour
les
années
1981
et
1982.
Preuve
de
la
demanderesse
La
demanderesse
ne
voit
aucun
motif
valable
pour
que
la
défenderesse
puisse
lui
refuser
cette
dépense
de
$250,000
à
titre
de
boni.
La
demanderesse
a
connu
une
longue
histoire
depuis
sa
création
en
1949
et
au
cours
des
années
1956
à
1981,
avait
déclaré
des
bonis
régulièrement.
Ces
bonis
se
chiffraient
à
$14,000
pour
les
années
1958
et
1960,
à
$40,000
pour
les
années
1964
et
1965,
à
$60,000
pour
l'année
1966,
à
$75,321
pour
l'année
1978
et
à
$83,000
pour
l'année
1980.
Le
montant
de
$250,000
en
1981
n'était
donc
pas
démesuré,
compte
tenu
du
chiffre
d'affaire
de
la
demanderesse
et
de
la
dévaluation
de
la
valeur
de
l'argent
aux
cours
des
années.
D'ailleurs,
durant
toute
cette
période,
la
demanderesse
avait
aussi
déclaré
des
dividendes,
soit
$168,000
en
1973,
$45,298
en
1979
et
$31,500
en
1980.
Aux
dires
de
la
demanderesse,
la
situation
financière
de
la
demanderesse,
qui
apparaissait
des
plus
encourageante
en
1981,
s'était
rapidement
détériorée
au
cours
de
l'hiver
et
du
printemps
1982.
Une
crise
économique
persistait,
une
aventure
pour
percer
le
marché
de
Montréal
s'avérait
malencontreuse
et
la
concurrence
devenait
de
plus
en
plus
grande.
Face
à
ce
revers,
et
fidèle
à
une
politique
fiscale
de
très
haute
liquidité,
les
bénéficiaires
et
administrateurs
s'accordaient
à
annuler
le
boni
qui
leur
avait
été
déclaré.
De
plus,
prétend
la
demanderesse,
il
était
nécessaire
à
la
présidente,
madame
Lachapelle,
de
toucher
un
montant
substantiel
de
revenu
à
même
les
profits
de
la
société.
Cette
dame,
veuve
depuis
1980,
avait
hérité
de
son
époux
toutes
les
actions
communes
dans
la
société
demanderesse
qu'il
possédait,
la
balance
de
l'héritage
ayant
été
versée
au
bénéfice
des
enfants.
C'est
dire
que
même
si
la
veuve
jouissait
d'un
avoir
propre
considérable,
elle
manquait
de
liquidité
pour
voir
à
ses
propres
besoins.
D'en
conclure
la
demanderesse,
on
ne
pourrait
prétendre
que
la
transaction
étail
factice
ou
déraisonnable
ou
n'avait
comme
seul
but
l'avantage
fiscal
qu'elle
lui
apportait.
Preuve
de
la
défenderesse
La
défenderesse
avait
une
autre
perception
des
évènements.
Au
cours
des
enquêtes
qu'elle
avait
entreprises,
elle
en
serait
venue
à
soupçonner
de
la
bonne
foi
de
la
transaction
et
même
de
la
validité
du
boni
déclaré.
Je
résume
ici
les
constatations
qu'elle
aurait
faites:
(1)
le
boni
de
$210,000
à
madame
Lachapelle
était
déraisonnable.
Cette
dame
n'avait
obtenu
le
contrôle
de
80
per
cent
des
actions
dans
la
société
qu'au
décès
de
son
époux
au
printemps
de
1980.
Elle
n'avait
exercé
au
cours
de
son
mariage,
aucun
contrôle
sur
les
activités
de
cette
société.
Quoiqu'elle
avait
depuis
longtemps
participé
comme
administratrice
aux
affaires
du
Conseil
d'administration
et
que
de
son
vivant,
son
époux
la
tenait
au
courant
des
évènements,
son
rôle
au
cours
de
toute
l'histoire
de
l'entreprise
était
de
nature
passive.
Même
après
le
décès
de
son
époux,
elle
devait
se
fier
au
directeur-
général,
M.
Paul
Lachapelle
ainsi
qu'à
un
expert-comptable
et
à
un
conseiller
en
administration
pour
toutes
les
décisions
opérationnelles
ou
financières
de
la
société.
Comme
conséquence,
elle
ne
fréquentait
les
bureaux
de
la
société
que
deux
fois
par
semaine
pour
une
période
de
deux
ou
trois
heures
à
la
fois.
La
conclusion
tirée
par
la
défenderesse
dans
ces
circonstances
était
que
le
boni
de
$210,000
versé
à
madame
Lachapelle
ne
rencontrait
pas
les
exigences
de
l'article
18(1)(a)
de
la
Loi
de
l'impôt
sur
le
revenu
qui
défend
toute
dépense
sauf
dans
la
mesure
où
cette
dépense
soit
engagée
par
le
contribuable
en
vu
d'en
tirer
un
revenu.
(2)
Quoique
les
procès-verbaux
de
la
société
demanderesse
indiquaient
que
le
boni
avait
été
déclaré
le
ou
avant
le
3
novembre,
1981,
la
défenderesse
soupçonnait
que
cette
action
n'avait
été
prise
qu'après
le
11
novembre,
1981,
la
date
du
budget
fédéral
qui
modifiait
l'article
125
de
la
Loi
qui
accorde
un
taux
d'impôt
préférentiel
aux
petites
entreprises.
Dans
les
écritures
de
comptabilité
préparées
régulièrement
par
le
comptable
de
la
demanderesse
et
dont
la
vérification
aurait
été
faite
entre
le
16
et
le
23
novembre
1981,
le
boni
de
$250,000
n'y
figurait
pas.
Apparémment,
ce
n'est
que
quelque
temps
plus
tard
que
cette
somme
était
inscrite
dans
les
livres.
(3)
Aux
yeux
de
la
défenderesse,
les
motifs
pour
annuler
le
boni
en
août,
1982,
ne
tenaient
pas
debout.
Qu'importe
les
conditions
du
marché
à
cette
époque,
la
demanderesse
était
bel
et
bien
en
mesure
de
verser
ce
boni
à
ses
bénéficiaires
sans
pour
autant
créer
une
instabilité
quelconque
dans
ses
opérations.
La
défenderesse
alors
de
conclure
que
le
boni
déclaré
en
1981
et
annulé
en
1982
n'avait
pour
effet
que
de
réduire
indirectement
ou
de
façon
factice
les
revenus
de
la
demanderesse
contrairement
aux
dispositions
de
l'article
245
de
la
Loi.
(4)
Finalement,
la
défenderesse
suggérait
que
le
montant
du
boni
était
une
somme
transférée
au
compte
d'une
réserve
au
sens
de
l'article
18(1)(e)
de
la
Loi
et
comme
conséquence
n'était
pas
un
élément
déductible
pour
fins
d'impôts.
La
jurisprudence
Les
savants
procureurs
des
parties
ont
fait
état
de
la
jurisprudence
accumulée
touchant
l'article
18(1)(a)
et
l’article
245
de
la
Loi.
La
défenderesse
a
cité
la
cause
de
Totem
Disposal
Co.
Ltd.
v.
M.N.R.,
[1981]
C.T.C.
2547;
81
D.T.C.
493,
où
on
décidait
que
la
politique
du
contribuable
de
limiter
son
revenu
imposable
au
niveau
des
petites
entreprises
par
moyen
de
salaires
accumulés
à
son
directeur-général
était
à
l'encontre
de
l'article
18(1)(a).
La
défenderesse
a
remarqué
aussi
que
dans
Doug
Burns
Excavation
Contracting
Limited
v.
M.N.R.,
[1983]
C.T.C.
2566;
83
D.T.C.
528,
monsieur
le
juge
St-Onge
de
la
Cour
canadienne
de
l'impôt,
avait
refusé
un
boni
considérable
à
l'épouse
d'un
propriétaire
d'entreprise
alors
que
la
participation
de
l'épouse
dans
la
société
ne
se
chiffrait
qu'à
une
seule
action.
Dans
la
cause
Don
Fell
Limited
et
al.
v.
The
Queen,
[1981]
C.T.C.
363;
81
D.T.C.
5282,
la
Cour
fédérale,
section
de
première
instance,
constatait
une
série
de
transactions
entre
certains
associés
ou,
par
l'entremise
de
sociétés
individuelles,
ils
se
déclaraient
des
bonis
pour
les
annuler
plus
tard.
Monsieur
le
juge
Cattanach
reconnaissait
que
cette
série
de
transactions
n'avait
pour
but
que
de
réduire
indûment
le
revenu
du
contribuable.
La
Cour
canadienne
de
l'impôt
en
tirait
les
mêmes
conclusions
dans
257324
Ontario
Limited
v.
M.N.R.,
[1988]
2
C.T.C.
2300;
88
D.T.C.
1670,
mais
se
fondait
sur
l'article
18(1)(a)
de
la
Loi.
De
son
côté,
la
demanderesse
soulignait
la
décision
de
la
Commission
de
révision
de
l'impôt
dans
l'affaire
Brazolot
Construction
Limited
v.
M.N.R.,
[1981]
C.T.C.
2468;
91
D.T.C.
449,
où
on
acceptait
le
bien-fondé
de
certains
bonis
même
si
celui
en
question
avait
été
partiellement
annulé
l'année
suivante.
La
Commission
de
révision
de
l'impôt
tirait
la
même
conclusion
dans
la
cause
de
Toronto
Heel
Limited
v.
M.N.R.,
[1980]
C.T.C.
2277;
80
D.T.C.
1250.
Comme
on
peut
facilement
le
constater
à
la
lecture
de
toute
cette
jurisprudence,
les
motifs
de
jugement
sont
substantiellement
basés
sur
des
conclusions
de
fait.
Il
s'en
dégage
une
doctrine
qui
s'exprime
facilement
mais
qui
ne
s'applique
que
difficilement.
Les
conclusions
La
preuve
soumise
par
les
différents
témoins
au
cours
de
l'instruction
met
au
clair
le
litige
qui
sépare
les
parties.
D'un
côté,
l'exposé
des
faits
pour
le
compte
de
la
demanderesse
indique
bien
une
politique
de
bonis
versés
de
façon
assez
régulière
au
cours
des
années
précédentes.
Le
tribunal
doit
reconnaître
à
cet
égard
qu'il
est
toujours
loisible
aux
administrateurs
d'une
petite
entreprise
de
la
sorte
et
dont
le
contrôle
effectif
est
entre
leurs
mains,
de
faire
les
calculs
nécessaires
entre
profits
de
l'entreprise
d'un
côté
et
salaires
et
bonis
de
l'autre
afin
de
diminuer
dans
la
mesure
du
possible
l'impact
cumulatif
des
impôts,
en
autant
du
moins
que
les
transactions
ne
soient
pas
abusives
ou
déraisonnables.
De
plus,
la
preuve
révèle
que
le
seul
boni
annulé
dans
une
année
subséquente
fut
celui
de
1981.
Il
est
vrai,
qu'en
raison
de
ceci,
la
demanderesse
se
trouvait
à
jouir
d'un
dégrèvement
d'impôt
considérable.
Cependant,
un
tel
avantage
ne
provoque
pas
de
soi
une
conclusion
défavorable
à
un
contribuable.
De
l'autre
côté,
j'admets
bien
que
certaines
constatations
faites
par
la
défenderesse
jettent
une
ombre
sur
l'ensemble
de
la
transaction
et
sont
de
nature
à
créer
un
certain
doute
aussi
bien
sur
les
motifs
que
sur
la
validité
de
celle-ci.
À
cet
égard,
cependant,
je
dois
me
souvenir
que
les
pièces
justificatives
produites
par
la
demanderesse
ont
une
valeur
probante
qu'on
ne
pourrait
mettre
de
côté
par
simples
voies
d'hypothèses,
de
suppositions
et
de
présomptions.
En
d'autres
mots,
le
tribunal
doit
éviter
d'adopter
le
principe
de
post
hoc,
propter
hoc,
pour
déclarer
que
tout
ce
qui
aurait
été
fait
par
la
demanderesse
ne
serait
qu'en
raison
des
dispositions
budgétaires
du
11
novembre,
1981,
et
qu'il
s'agit
de
ce
genre
de
transaction
prévue
à
l’article
245
de
la
Loi.
Avec
tout
le
respect
que
je
dois
aux
préposés
de
la
défenderesse
et
aux
présomptions
qu'ils
ont
puisées
dans
certains
éléments
de
preuve,
je
ne
pourrais
me
permettre
de
tirer
cette
conclusion.
Il
en
est
autrement,
cependant,
en
ce
qui
concerne
le
montant
lui-même
du
boni.
L'article
18(1)(a)
de
la
Loi
interdit
à
un
contribuable
toute
déduction
faite
en
raison
d'une
dépense
quelconque
à
moins
que
cette
dépense
soit
en
vue
de
tirer
un
revenu
de
l'entreprise.
C'est
dire
que
la
dépense
doit
être
raisonnable.
Ce
qui
est
raisonnable
est
une
question
de
fait.
Toute
les
circonstances
entrent
en
jeux
pour
en
déterminer
la
portée
dans
chaque
cas
particulier.
Je
réfère
particulièrement
au
boni
de
$210,000
déclaré
en
faveur
de
madame
Lachapelle.
Les
circonstances
entourant
la
participation
de
cette
dame
dans
les
opérations
de
sa
société
ne
sont
pas
controversées.
De
son
propre
aveu,
et
avec
une
candeur
qui
lui
est
favorable,
le
rôle
qu'elle
aurait
exercé
au
cours
de
l'année
1981
était
minime.
Titulaire
de
80
per
cent
des
actions
dans
la
société,
elle
devait
néanmoins
se
fier
à
son
directeur-général,
à
son
expert-comptable
et
à
son
conseiller
en
administration
pour
tout
ce
qui
touchait
de
la
politique
de
l'enterprise,
de
ses
opérations,
de
ses
relations
ouvrières,
et
de
son
administration
en
général.
D'ailleurs,
l'élément
fonctionnel
de
madame
Lachapelle
était
à
la
mesure
de
quelques
$400
par
semaine
qu'elle
touchait
comme
salaire.
Je
dois
conclure
que
le
montant
de
$210,000
était
déraisonnable.
Ce
n'est
pas
dire
cependant
que
le
boni
doit
lui
être
refusé
dans
son
entier.
Comme
propriétaire
d'une
majeure
partie
de
l'entreprise,
comme
administratrice
et
présidente
du
conseil,
madame
Lachapelle
en
faisait
quand
même
partie.
Alors,
même
si
je
dois
objectivement
conclure
que
le
montant
de
$210,000
est
trop
élevé,
je
dois
d'autre
part
éviter
d'imposer
au
contribuable
des
normes
trop
rigoureuses.
Après
tout,
la
Loi
respecte
une
certaine
flexibilité
dans
la
politique
d'une
entreprise
du
genre,
tenant
compte
que
ces
versements,
soit
par
salaires,
soit
par
bonis,
créent
des
incidences
fiscales
identiques.
Tenant
compte
de
l'ensemble
de
la
preuve,
de
la
politique
de
la
demanderesse
de
déclarer
des
bonis
de
façon
assez
régulière,
de
l'augmentation
du
chiffre
d'affaires
de
l'entreprise,
et
de
l'effet
de
l'inflation
sur
les
valeurs,
je
fixerais
le
montant
raisonnable
du
boni
déclaré
en
faveur
de
madame
Lachapelle
à
$100,000.
Je
ne
verrais,
cependant,
aucun
motif
pour
intervenir
dans
le
boni
de
$40,000
déclaré
en
faveur
de
monsieur
Paul
Lachapelle,
directeur-général
de
la
société
demanderesse.
L'appel
de
la
demanderesse
est
donc
accordé
en
partie.
L'avis
de
nouvelle
cotisation
est
modifié
en
conséquence
et
l'affaire
est
remise
à
la
défenderesse
pour
effectuer
les
ajustements
qui
s'imposent
pour
les
années
1981
et
1982.
La
demanderesse
a
droit
à
ses
dépens.
Appel
accueillé
en
partie.