Le juge Noël: —La requérante en appelle des cotisations émises le 16 avril 1984 pour les années 1980 et 1981 sous les numéros 9001 et 9002; le 15 mai 1984 pour l’année 1982 sous le numéro 9003; le 4 octobre 1984 pour l'année 1983 sous le numéro 0004 et le 8 janvier 1987 pour les années 1984 et 1985 sous les numéros 9005 et 9006.
La présente cause a été réunie à celle de Nebraska Corporation S.A. v. Le Sous-Ministre du Revenu du Québec pour enquête et audition communes.
Le litige repose sur le droit de l'intimé de prélever une taxe sur le capital versé de la requérante en vertu de la Loi sur les impôts ou pour mieux dire, si la requérante est assujettie aux cotisations précitées.
Avant l’audition, les parties ont fait les admissions suivantes:
Nebraska Corporation
Ivy Real Estate Corporation
requérantes
vs.
Sous-Ministre du Revenu du Québec
intimé
Les parties requérantes pour les fins des présents litiges admettent que le quantum des cotisations émises par l'intimé n'est pas contesté et admettent ainsi l'exactitude des montants réclamés.
De plus, pour le requérant Nebraska celui-ci admet que relativement a l'avis de cotisation pour l'exercice financier se terminant le premier octobre 1978, il ne conteste pas le bien-fondé de la cotisation portant sur la partie I de la Loi sur les impôts.
Signé à Montréal
ce 3 mai 1988
(s) Jules Brossard
Procureur des requérants.
La requérante, incorporée à Panama, a son siège social et lieu de résidence des actionnaires à Panama ayant comme actif un immeuble commercial, bâtisse et terrain de stationnement adjacent, situé sur le boulevard Couture à St-Léonard, district de Montréal, dont la superficie totale du bâtiment de 59,973 pieds carrés a été divisée et louée à cinq établissements commerciaux qui les utilisent soit aux fins d'application de peinture, espaces de bureaux, salles d'expositions, entreposage de certains produits manufacturés et produits plastics, etc. . .
La requérante a eu recours, pour administrer son immeuble, à la compagnie Edgecombe Properties Ltd qui se spécialise dans la gestion d'immeubles à revenus détenus par des non-résidents. La gestionnaire s'occuppe de trouver elle-même des locataires, faire signer des baux, percevoir les loyers, les déposer en fidéicommis, vérifier à ce que l'immeuble ne se détériore pas, effectuer les réparations de l'immeuble, voir à l'enlèvement de la neige et en repartir le coût selon la superficie de planchers occupée par les locataires.
Les états financiers de la requérante produits comme I-7 révèlent que pour les années en cause, des frais de gestion, d'entretien, d'enlèvement de la neige, dépenses de voyages, frais légaux, frais de déplacements sont substantiels.
Le co-actionnaire Jacob Bassan, médecin de profession, déclare qu'en incorporant le requérante, il a acheté cet immeuble avec son frère dans le but de faire un investissement immobilier qui concrétisait une sécurité de capital à rendement intéressant requérant très peu de temps, tout en en confiant l'administration à une corporation spécialisée.
Daniel Galletti, vice-président de la gestionnaire Edgecombe Properties Ltd, estime à une journée par mois le temps qu'il consacre à la gestion de l'immeuble. "Quant à l'inspection des lieux, dit-il, il s'agit tout simplement d'une visite effectuée en voiture, qui se limite à vérifier l'aspect extérieur de l'immeuble." Il souligne que les propriétaires étrangers n'apportent aucune participation active dans la négociation des baux et n'ont à leur disposition aucune espace de bureau au Québec.
Les objets pour lesquels la requérante a été incorporée apparaissent à ses lettres patentes (R-2) rédigés dans les termes suivants:
SECOND: The general purposes of the corporation are to do any and all of the hereinafter set forth to the same extent as natural persons might or could do such things in any part of the world, namely:
a) To engage in the operation of all kinds of industrial, commercial and financial activities to have its own account or in conjunction with others, either natural or juridical, or by the acquisition of securities, or shares, or rights.
b) To acquire, purchase, sell, have, use and transfer real and personal property and to constitute and accept liens, mortgages leases, charges, and encumbrances of all kind.
c) To enter into contracts, to borrow money, to issue bonds, promissory notes, bills of exchange and to open, operate and close bank accounts or any kind and with any banking institutions.;
d) To guarantee, acquire, purchase, have, sell assign, transfer, hypothecate and deal in shares, bonds and other obligations of other corporations or to engage in any other lawful business permitted by the laws of the Republic of Panama or abroad.
Le contrat de gestion produit comme exhibit RI est des plus révélateur sur la nature des services rendus et des prix payés et ce, en référant au paragraphe 4, alinéas a, b, c, qui se lisent comme suit:
OWNER COVENANTS
4. The Owner hereby agrees with the Manager, as follows:
a) to pay to the Manager as compensation for the management services herein undertaken by the Manager a monthly fee of three per cent (3%) of gross revenue as hereinafter defined or a minimum of 280$ whichever is greater.
Gross revenue for the purposes of this Agreement is defined as base rental only paid by tenants of the Property under their respective leases and I.
percentage rent, expense recoveries, and/or net recoveries for taxes and charges under escalation clauses, parking and all other moneys received; and revenue from all other sources within the Property;
b) to pay to the Manager fees for the services of securing new tenants for vacant premises (paragraphes 3-p) the supervision of repairs or alterations of an extraordinary nature above and beyond the day-to-day operation of the property, such work to be carried out at the rate of 15% of the value of the work, subject to the prior approval of Owner;
c) to indemnify the Manager its agents and employees from all and any liability, damages, and expenses whatsoever which the Manager may incur or be subjected to in acting as the Manager for the owner or in entering into contracts in conjunctions [sic] with the operation and management of the Property in discharging the manager's duties under paragraphe 3 above, and further to save the Manager harmless from all damage suits in connection with the operation and management of the Property;
d) to carry, at the Owner's expense, public liability insurance adequate to protect the interests of the parties hereto, which policies shall be written so as to protect the Manager in the same manner and to the same extent that they protect the Owner and the Owner shall provide the Manager with certificates or copies of policies evidencing such insurance coverage.
A la lumière des exhibits précités appréciés dans leur ensemble, il y a lieu de s'enquérir si la corporation requérante tant par son statut constitutif que par son activité factuelle est une entreprise se crystalisant dans l'exploitation d'un immeuble commercial assujetti à la taxe sur le capital prévue à l'article suivant:
1131. L.1. Toute corporation ayant un établissement au Québec à un moment quelconque d'une année d'imposition doit payer, pour cette année, une taxe sur son capital versé montré aux livres et aux états financiers soumis aux actionnaires pour cette année d'imposition.
Il ressort clairement de cet article que l'assujettissement d'une corporation à la taxe sur son capital trouve ses assises sur la notion “d'établissement au Québec".
Pour cerner la signification d'établissement tant pour les fins de l'aticle 22 (en vertu de l'article 1) que pour l'application de l’article 1131 (en vertu de l’article 1130), la loi nous réfère aux articles 12 et suivants.
Article 12.” L'établissement d'un contribuable signifie une place fixe où il exerce son entreprise ou, à défaut, l'endroit principal où il exerce son entreprise. Un établissement comprend également un bureau, une succursale, une mine, un puits de étrole ou de gaz, une exploitation agricole une terre à bois, une usine, un entrepôt ou un atelier.
L'article 22 donne le sens à “entreprise" définit par l'article 1 qui doit être retenu dans l'application de l'article 1131 L.1.
Article 1. "Entreprise" comprend une profession un métier, un commerce, une manufacture, ou une activité de quelque genre que ce soit, y compris, sauf aux fins du paragraphe (2) du premier alinéa de l’article 164, un projet comportant un risque ou une affaire de caractère commercial, mais ne comprend pas une charge ni un emploi;
"Etablissement": Etablissement a le sens que lui donnent les articles 12 à 16.1.”
C'est à bon droit que les procureurs de l'intimé soutiennent que l’activité décrite au statut constitutif de la requérante (lettres patentes) et l'exercice factuel de son activité représentent deux critères déterminants pour qualifier le revenu généré de revenu d'entreprise. D'ailleurs, cette Cour n'a pas à décider si le revenu réalisé par la requérante pour les années en litige représente un revenu de biens, mais de rechercher si la corporation requérante exerce une entreprise visée par l'article 1131 L.1.
La requérante exploite de par sa gestionnaire un immeuble loué à cinq entreprises commerciales dont les loyers perçus ne génèrent pas spontanément des revenus sans une activité présente et soutenue de la gestionnaire.
La jurisprudence citée par les procureurs des deux parties cerne des gestions de location d'immeubles. Il s'agit de cas d'espèce dans lesquels sont appréciés les services rendus et le degré d'activité consacré à la gestion, soit d'immeubles commerciaux ou d'immeubles d'appartements.
C'est à bon droit que dans la cause de Canemro Anstalt c. Sous-Ministre du Revenu, C.P. 500-02-020 973-850, l'honorable Juge Marc Cordeau a conclu ne pas devoir intervenir après avoir cerné le genre de complexe immobilier et les activités requises pour l'exploiter en considérant la portée du terme "entreprise" à l'article 1 L.1, en relation avec les articles 12 et 1 de cette Loi.
D’abondance, dans la cause de Sous-Ministre du Revenu du Québec c. Turcotte, 1981 C.A. 500-09-000809-72, l'honorable Juge Claire L'Heureux- Dubé a bien énonçé que si le législateur avait voulu exclure de la définition "entreprise" (article 1 de la Loi de l'impôt) l'exploitation d'immeubles à revenu, il aurait fallu qu'il emploie un langage beaucoup plus clair. Il n'y a pas d’équivoque à conclure que l'appréciation de l'exploitation d'un immeuble commercial à revenu par une corporation constituée à cette fin puisse la qualifier d'une entreprise visée par l'article 1131 de la Loi de l'impôt. L'exploitation d’un immeuble par location fut qualifiée d'entreprise dans la cause de Weintraub v. The Queen, [1975] C.T.C. 112; 75 D.T.C. 5050, jugement de la division de première instance de la Cour fédérale au motif suivant [C.T.C. page 120]
The business of the company as set out in its letters patent was to purchase, lease, take in exchange or otherwise acquire lands or interests therein together with any buildings or structures that may be on the said lands or any of them, and sell, lease, exchange, mortgage or otherwise dispose of the whole or any portion of the lands and all or any of the buildings or structures that are now or may hereafter be erected thereon, and to take such security therefore as may be deemed necessary;
The operation of the two office buildings in question involving dealing with a substantial number of tenants was clearly within the objects for which the company was incorporated (. . . .).
Les deux arrêts suivants sont dans le même sens.
(...) I should conclude without hesitation that the activities of the taxpayer company during the relevant years amounted to a trade. I have in mind in this connection the terms of the company's memorandum the fact Mr Broadrible spent half his working time managing the company's affaires, the fact that he actively sought out customers, that he exercised when dealing with the licences when granted skill and labour of a continuous and variegated kind. (. . .).
(Noddy Subsidiary Rights Co. v. C.I.R., [1966] 3 All E.R. 459, 471)
The respondents' objects include, inter alia, acquiring of freehold property and the leasing of all or any of the company's property. If a company's objects are business objects and are in fact carried out, it carries on business.
(C.I.R. v. Westleigh Estate Co. (1923), 12 T.C. 657, per Pollock M.R.)
(C.I.R. v. Hanovers Agencies Ltd., [1967] 1 A.C. 681 at 687)
(Soulignements ajoutés).
La requérante a également soulevé qu'elle n'avait pas d'établissement au Québec puisqu'elle n'exerçait pas à une place fixe ou un endroit principal et que si entreprise il y avait, cette entreprise était opérée de Panama, lieu du siège social de sa corporation, de ses administrateurs et actionnaires.
Pour décider si la requérante a un établissement au Québec, il faut référer à l'article 12 L.1. qui cerne le concept d'établissement d'un contribuable et par extension celui d'une corporation qui a une place fixe où elle exerce son entreprise ou à défaut l'endroit principal où elle exerce cette entreprise. Le mot "établissement" apparaissant à l'article 1 a le sens que lui donnent les articles 12 à 16.1. La décision rendue par la Cour d'Appel fédérale dans la cause de Gurd's Products Co. v. The Queen, [1985] 2 C.T.C. 85, pages 94 et 95; 85 D.T.C. 5314, pages 5321 et 5322 énonce cinq critères qui s'appliquent dans le présent cas pour conclure que la requérante exploite une entreprise au Québec.
Les critères sont énumérés comme suit:
[1.] The review of these cases is sufficient, I think, to express the view that one of the principles applicable in cases where it is alleged that income derived from transactions in which non-residents are involved is taxable, generally speaking is in the jurisdiction where the operations take place from which the profits arise . . . counsel for the respondent on these bases supported the trial judge's finding that the mere purchase of the goods in Canada, the preparation of the export documentation, the collection of the monies derived from the sale in Canada and remitting them immediately to Products in Evanston [Etats-Unis] are insufficient to constitute carrying on business in Canada.
With great deference I am unable to agree . . .
[2.] Secondly, the establishment of a Bank account by Products in Canada,
[3.] Thirdly, substantial profits earned from the sale of the goods purchased in Canada, were at least momentarily in Canada before being diverted to the United States . . .
[4.] The limited scope of his [l’agent de la compagnie du Canada] authority has little or no effect in the determination of whether Products carried on business in Canada.
[5.] Fifthly, the cases to which I earlier referred were influenced as Addy, J. properly observed, by "the very sound principle that, as every country stands to gain by the expansion of its foreign trade, it would be patently against public interest to discourage foreign purchasers from buying goods manufacture red in that country by taxing them on the basis that they were carrying business there. Such a consideration is certainly not present in this case. In fact, the opposite is true...
L'entreprise est exercée au lieu où est situé l'immeuble, les baux sont négociés et conclus au Québec de plus, faut-il souligner que la requérante a confié la gestion de son immeuble au sens de la loi à une compagnie ayant sa place d’affaires au Québec, ce qui consacre le fait qu'elle opère cet établissement au Québec.
Par Ces Motifs:
LE TRIBUNAL rejette l’appel avec dépens, et
MAINTIENT les avis de cotisations émis le 16 avril 1984 pour les années 1980 et 1981 sous les numéros 9001 et 9002; le 15 mai 1984 pour l’année 1982 sous le numéro 9003; le 4 octobre 1984 pour l'année 1983 sous le numéro 004 et le 8 janvier 1987 pour les années 1984 et 1985 sous les numéros 9005 et 9006.
Appel réjeté.