Le Juge Décary:—Il s’agit d’une action de la demanderesse qui conteste une cotisation d’impôt sur le revenu pour son année d’imposition 1975 dans laquelle le Ministre du revenu national a inclus au revenu de la demanderesse pour l’année d’imposition 1975 une somme de $171, 496.13 à titre de récupération de l’allocation du coût en capital relative aux biens de la catégorie 19.
Les parties ont produit un document intitulé “Entente sur les faits” qui se lit comme suit:
Les parties, par leurs procureurs soussignés, admettent les faits ci-après mentionnés; les parties conviennent de plus qu’aucun autre fait ne sera présenté en preuve lors de l’audition, l’entente sur les faits tenant lieu de preuve.
1. Au cours de l’année 1969, Sa Majesté du Chef du Canada, représentée par le Ministère des Travaux Publics, expropriait les biens existants de la demanderesse aux fins de construction des installation aéroportuaires de Mirabel;
2. Aucune poursuite, appel ou quelqu’autre procédure n’a été engagé par la demanderesse devant une Cour ou un tribunal compétent afin de faire fixer l'indemnité pour les biens expropriés;
3. Au cours de l’année 1975, une entente intervenait entre Sa Majesté du Chef du Canada et la demanderesse fixant l’indemnité en raison de I’ expropriation à un mortant de $954,282.00;
4. Par resolution en date du 9 octobre 1975, la demanderesse ratifiait l’entente mentionnée au paragraphe précédent;
5. L’indemnité convenue entre Sa Majesté du Chef du Canada et la demanderesse se détaille comme suit:
Terrain | $ 41,835 |
Bâtisse | $128,210 |
Puits artésiens, égoûts | $ 5,095 |
Equipement mobile et | |
Equipement fixe | $778,142 |
TOTAL | $953,282 |
6. Parmi les biens expropriés de la demanderesse se trouvaient des biens des categories 8 et 19 (Règlements 1100 et suivants) pour lesquels le montant de l’indemnité était de $778,142.00;
7. La partie de l’indemnité se rapportant aux biens de la catégorie 19 était d’au moins $171,496.12;
8. La fraction non-amortie du coût en capital des biens de la catégorie 19 était de zéro (0) au 31 décembre 1975;
9. Le coût en capital de la demanderesse pur les biens de la catégorie 19 était de $171,496.13;
10. Par avis de nouvelle cotisation, en date du 19 avril 1978, pour l’année d’imposition 1975, le Ministre du Revenu National a inclus dans le revenu de la demanderesse, une somme de $171,496.13 à titre de récupération de l’allocation du coût en capital relative aux biens de la catégorie 19;
11. La seule question en litige consiste à déterminer dans quelle année d’imposition est imposable le montant de $171,496.13 à titre de récupération de l’allocation du coût en capital relative aux biens de la catégorie 19 de la demanderesse, à savoir dans l’année d’imposition 1969 ou dans l’année d’imposition 1975.
La cotisation d’impôt sur le revenu vise l’année d’imposition 1975; il faut donc regarder la loi applicable en 1975 pour déterminer si la cotisation est bien fondée en droit.
L’article 13(1), qui traite de l’imposition de la récupération de l’allocation du coût en capital, se lit comme suit:
Art. 13. (1) Lorsqu’un contribuable a, au cours d’une année d’imposition, disposé de biens amortissables d’une catégorie prescrite et que le droit de la disposition est supérieur à la fraction non amortie du coût en capital qu’il a supporté pour les biens amortissables de cette catégorie, existant juste avant la disposition, il doit inclure dans le calcul de son revenu de l’année le moins élevé des deux montants suivants:
(a) le montant de l’excédent, ou
(b) le montant qui aurait été celui de l’excédent, si le contribuable avait disposé des biens à un prix représentant leur coût en capital supporté par lui.
L’article 44(2)(a) détermine le moment de la disposition dans le cas, entre autres, d’une expropriation:
Art. 44. (2) Aux fins de la présente loi, le jour où le contribuable a disposé d’un bien, lorsque le produit de la disposition est un produit visé au sous-alinéa 13(21 (d)(iii) où une somme est devenue un montant à recevoir par le contribuable à titre de produit de la disposition d’un tel bien, est réputée être celui des jours Suivants qui est antérieur aux autres:
(a) le jour où le contribuable a convenu d’un montant devant lui être versé a titre d’indemnité totale pour le bien perdu, détruit, pris ou vendu
Ainsi, en vertu des articles précités, la demanderesse serait donc réputée avoir dispose de ses biens au cours de l’année 1975, soit au moment où ila été convenu d’un montant devant lui être versé à titre d’indemnité: la récupération en vertu de l’article 13(1) serait donc imposable en 1975. L’article 44 a été ajouté à la Loi de l’impôt sur le revenu par l’article 18 du chapitre 26 des Statuts du Canada, 1974-75-76. Le paragraphe 2 de l’article 18 du chapitre 26 des Statuts du Canada prévoit que l’article 44 s’appliquerait aux montants qui deviendraient recevables après le 6 mai 1974;
Art. 18. (2) Le présent article s’applique aux montants qui deviennent recevables après le 6 mai 1974.
Vu ces dispositions il est évident que la question qu’il faut se poser pour savoir si l’article 44(2) est applicable au présent litige est de déterminer si le montant de l’indemnité était un montant à recevoir, pour la demanderesse, avant le 6 mai 1974.
La jurisprudence bien établie de la Cour suprême indique que pour qu’un montant soit à recevoir dans une année d’imposition, il faut deux choses: un droit de recevoir une compensation, et, de plus, une entente exécutoire liant les parties ou un jugement fixant le montant de l’indemnité.
A ce sujet, il y a l’arrêt unanime de la Cour suprême dans MNR v Benaby Realties Limited, [1967] CTC 418; 67 DTC 1382, dans laquelle le contribuable avait été exproprié en 1954 et l’entente concernant le montant d’indemnité avait été conclue en 1955. La question en litige consistait à déterminer dans quelle année était imposable le montant de profits réalisés suite à l’expropriation. Le Ministre du revenu national avait cotisé l’appelante pour l’année d'imposition 1955, c’est-à-dire l’année où l’entente sur l’indemnité avait été conclue. Il est particulièrement intéressant de noter la prétention du contribuable devant la Cour suprême qui est rapportée par le juge Judson, à la page 419:
. . . from the moment of expropriation, the taxpayer no longer had its land but had instead the right to receive compensation.
Le contribuable a prétendu qu’il avait un montant à recevoir à partir du moment de l’expropriation, soit 1954, et qu’en conséquence la cotisation était mal fondée puisqu’elle visait l’année 1955. Le juge Judson rejeta cette prétention à la page 420:
In my opinion, the Minister’s submission is sound. It is true that at the moment of expropriation the taxpayer acquired a right to receive compensation in place of the land but in the absence of a binding agreement between the parties or of a judgment fixing the compensation, the owner had no more than a right to claim compensation and there is nothing which can be taken into account as an amount receivable due to the expropriation.
Un peu plus loin, le juge Judson ajoute ce qui suit, à la même page:
Taxpayers are required to file a return of income for each taxation year (Section 44(1)) and the Minister must “with all due despatch” examine each return of in- come and assess the tax for the taxation year. However, in many cases, compensation payable under the Expropriation Act is not determined until more than four years after the expropriation has taken place and, in many of these cases, the Minister would be precluded from amending the original assessment because of the four-year limitation for the assessment (Section 46(4)
La décision MNR v Benaby Realties Limited a été appliquée par la Cour suprême entre autres dans les affaires de Vaughan Construction Company Limited v MNR, [1970] CTC 350; 70 DTC 600, ainsi que dans Maple Leaf Mills Limited v MNR, [1976] CTC 324; 76 DTC 6182, où le juge de Grandpre, au nom de la majorité dit ce qui suit, a la page 330:
This test is the one this court has applied in income tax cases resulting from expropriations; for an amount to become receivable in any taxation year, two conditions must co-exist: (1) a right to receive compensation; (2) a binding agreement between the parties or a judgment fixing the amount. The principle is to be found in MNR v Benaby Realties Limited, [1968] S.C.R. 12; [1968] CTC 418; 67 DTC 5275, and in Vaughan Construction Company Limited v MNR, [1971] S.C.R. 55; [1970] CTC 350; 70 DTC 6268.
Au même effet, il y a la décision de MNR v Pine Ridge Property Limited, [1971] CTC 752; 71 DTC 1309, où la Cour fédérale a applique le principe émis par la Cour suprême dans Benaby Realties Limited v MNR.
La demanderesse n’ayant conclu aucune entente fixant le quantum de l’indemnité avant le 6 mai 1974, il en résulte qu’avant cette date elle n'avait pas un montant d’indemnité à recevoir. Le montant est devenu à recevoir uniquement lorsque les parties ont conclu une entente sur le montant de l’indemnité, soit en 1975. Conséquemment, l’article 44(2) a) s’applique car le montant est devenu à recevoir après le 6 mai 1974.
La demanderesse a invoqué à son soutien la présomption contre la rétroactivité des lois. A ce sujet, la défenderesse soumet deux propositions: la présomption de non-rétroactivité en tant que règle d'interprétation, et, qu’il a pas effectivement de rétroactivité dans les faits de l’affaire.
Dans la mesure où le texte de loi est clair, on n’a pas recours à la présomption de non-rétroactivité puisqu'il s’agit d’une simple règle d’interpreta- tion. C’est seulement si le texte de loi est ambigu et susceptible de deux interpretations qu’on y a recours afin d’établir l’intention du législateur, Acme Village School District v Steele-Smith, [1933] RCS 47, où le juge La- mont disait en parlant de la présomption de non-rétroactivité des lois et du principe du maintien des droits acquis, à la page 51:
That these are well recognized general rules of construction is not questioned. Rules of construction, however, are only useful in ascertaining the true meaning of a statute where the language is not clear and plain.
C’est mon opinion que les textes de l’article 44(2)(a) at de l’article 18(2) du chapitre 26 des Statuts du Canada, 1974-75-76 qui prévoit que l’article 44 est applicable aux montants qui deviennent recevables après le 6 mai 1974, sont clairs et il n’y a donc pas lieu d’avoir recours à ce principe d’interprétation.
Les dispositions de l’article 18(2) du chapitre 26 des Statuts du Canada, 1974-75-76, prévoient que l’article 44 est applicable aux sommes qui deviennent recevables après le 6 mai 1974; donc, le loi vise le futur, pas le passé. De plus, la cotisation est pour l’année 1975, donc postérieure à l’adoption de la loi en fonction d’événements survenus après l’entrée en vigueur de l’article 44(2).
Le professeur Driedger, dans The Construction of Statutes, Butterworth’s 1976, indique deux cas où il y a rétroactivité, à la page 140:
1. Lorsque la loi dit qu’elle est censée être en vigueur à un moment antérieur à son adoption; ce n’est pas le cas ici.
2. Lorsque la loi sera opérante, elle aura un effet sur des transactions passées “as of a past time,” c'est-à-dire, changera les conséquences juridiques des transactions passées à partir du passe.
Ce n’est pas le cas ici puisque la transaction visée, c’est-à-dire l’entente concernant l’indemnité n’était pas conclue entre les parties avant l’entrée en vigueur de la loi.
Il y a, d’autre part, la décision de la Cour d’appel d’Angleterre dans West v Gwynne, [1911] 2 ch 1, où il a été décidé que ce n’est pas parce qu’une loi tient compte d’événements que ce n’est pas parce qu’une loi tient compte d’événements survenus en partie avant son adoption qu’elle est rétroactive. Le juge Buckley disait, aux pages 11 et 12:
During the argument the words “retrospective” and “retroactive” have been repeatedly used, and the question has been stated to be whether s 3 of the Conveyancing Act, 1891, is retrospective. To my mind the word “retrospective” is inappropriate, and the question is not whether the section is retrospective. Retrospective operation is one matter. Interference with existing rights is another. If an Act provides that as at a past date the law shall be taken to have been that which it was not, that Act I understand to be retrospective. That is not this case. The question here is whether a certain provision as to the contents of leases is addressed to the case of all leases or only of some, namely, leases executed after the passing of the Act. The question is as to the ambit and scope of the Act, and not as to the date as from which the new law, as enacted by the Act, is to be taken to have been the law.
A mon avis, l’application de l’article 44(2)(a) de la Loi de l'impôt sur le revenu n’a d’aucune façon un effet rétroactif puisque ledit article était applicable aux montants qui sont devenus à recevoir après le 6 mai 1974 et qu’au 6 mai 1974, la demanderesse n’avait pas un montant à recevoir à titre d’indemnité comme nous l’avons vu précédemment (MNR v Benaby Realties Limited) supra.
En fait, l’article 44(2) semble être en grande partie une codification de la jurisprudence déjà citée. (MNR v Benaby Limited, Vaughan Construction Company Limited v MNR, etc.). Je suis d’accord avec la défenderesse qui a soutenu que même en l’absence de l’article 44(2)(a), la récupération aurait été imposable en 1975. En effet, l’article 13(21 )(c) définit la disposition de biens comme comprenant:
Toute opération ou événement donnant droit au contribuable au produit de la disposition.
L’article 13(21)(d) indique que le produit de disposition comprend entre autres, au sous-alinéa iv: “toute indemnité afférente aux biens pris en vertu d’une loi ou le prix de vente des biens vendus à une personne ayant donné un avis de son intention de les prendre en vertu d’une loi.”
L’événement qui donnera droit au contribuable au montant de l'indemnité est l’entente liant les parties ou le jugement qui fixera le quantum de l’indemnité. En effet, le juge Judson, dans l’affaire Benaby, supra, disait qu’en l’absence d’entente exécutoire entre les parties ou d’un jugement fixant le montant de la compensation. C’est la même chose dans ce cas-ci. La demanderesse n'avait qu’un droit à réclamer une compensation en 1969 et l’événement qui lui a donné droit à la compensation, soit au produit de disposition, est l’entente conclue en 1975. A ce sujet, il y a la décision de la Cour de l’Echiquier dans Victory Hotels Limited v MNR, [1962] CTC 614; 62 DTC 1378, où le juge Noel a décidé que la récupération n'était imposable que dans l’année où le contribuable avait droit au produit de disposition, à la page 628:
It cannot, therefore, be said that the taxpayer was entitled to the monies or the “proceeds of disposition” until January 3, 1955, or such time after that date that all the conditions of the agreement had been fulfilled.
I, therefore, find that the properties of the appellant were not disposed of in the year 1954, but only in the year 1955.
Vu le texte de l’article 13(21 )(c), c’est uniquement en 1975 que la demanderesse a disposé de ses biens puisque ce n’est qu’à ce moment là que s’est produit l’événement qui lui a donné droit au produit de disposition, c’est-à- dire à l’indemnité.
De plus, il faut noter que l’article 13(1) contient deux éléments essentiels pour qu'il y ait récupération: que le contribuable ait disposé de son bien et que le produit de disposition soit supérieur à sa fraction non amortie du coût en capital. Il faut donc connaître ce produit de disposition pour établir S'il y a ou non récupération.
La demanderesse présume qu'il y a un “trou immense” dans la loi et qu’à cause de ce “trou”, la loi ne peut s’appliquer à sa situation; il s’agit donc d’une prétention qui a pour effet de dire que la loi ne fonctionne pas, qu’elle n’est pas exécutable. En interprétant une loi, la Cour doit choisir l’interprétation qui n’entraîne pas un résultat illogique que le législateur n’est pas censé avoir voulu.
Dans Whitney v C/R, 10 TC 88 nous lisons ces remarques de Lord Dunedin, à la page 110:
A statute is designed to be workable, and the interpretation thereof by a Court should be to secure that object, unless crucial omission or clear direction makes that end unattainable.
Dans la présente affaire il n’est pas raisonnable de croire qu'il y a omission dans la Loi ou qu’il est impossible que la Loi soit exécutable telle qu’elle est rédigée.
Pour toutes ces raisons, l’appel est rejeté avec dépens.