Le juge Rouleau:—Il s’agit d’une requête en révision d’un ordre du ministre du Revenu national qui a ordonné à la requérante de verser immédiatement le montant total de nouvelles cotisations établies pour les années 1983 et 1984. Le montant total d’impôts, pénalités et intérêts exigés pour ces années est de 3 096 556,68 $.
Faits
Le 11 mars 1986, le Ministre du Revenu national émettait des Avis de nouvelle cotisation contre la requérante pour ses années d’imposition 1983 et 1984. Avant même que l’encre n’ait séché sur ces Avis de cotisation, le Ministre ordonnait, le même jour, à la requérante de verser immédiatement le montant total de ces nouvelles cotisations soit 3 096 556,68 $.
De plus, le Ministre a procédé le 12 mars 1986 à la saisie du compte de banque de la requérante à la Banque nationale de Paris, à la saisie d’une balance de prix de vente d'environ 6,2 millions de dollars auprès de la Caisse de dépôt et de placement du Québec due à la requérante et à la saisie d'une autre balance de prix de vente d'environ 700 000 $ due par Alfid Services Immobiliers à la requérante.
Dispositions législatives
Pour fin de clarification, je reproduis in extenso l’article 225.2 de la Loi:
225.2 (1) Par dérogation à l’article 225.1, lorsqu’il est raisonnable de croire que l’octroi à un contribuable d’un délai pour payer le montant d’une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvrement de ce montant, et que le ministre, par avis signifié à personne ou envoyé en recommandé à la dernière adresse connue du contribuable, en a avisé celui-ci et lui a ordonné de verser immédiatement tout ou partie de ce montant, le ministre peut prendre immédiatement des mesures visées aux alinéas 225.1(A) à (g) à l’égard de tout ou partie de ce montant.
(2) Lorsque le ministre a ordonné au contribuable de verser immédiatement un montant conformément au paragraphe (1), le contribuable peut
(a) après avis au sous-procureur général du Canada au moins trois jours avant qu’il soit procédé à cette requête, demander à un juge d’une cour supérieure compétente de la province où le contribuable réside ou à un juge de la Cour fédérale du Canada de rendre une ordonnance fixant la date (tombant au moins 14 jours et au plus 28 jours après la date de l’ordonnance) et le lieu où il statuera sur la question de savoir si l’ordre était justifié en l’espèce;
(b) signifier une copie de l’ordonnance au sous-procureur général du Canada dans les 6 jours suivant la date où elle a été rendue; et
(c) après avoir ainsi signifié une copie de l’ordonnance, demander, à la date et au lieu fixés, une ordonnance où il soit statué sur la question.
(3) La requête à un juge visée à l’alinéa (2)(a) doit être présentée:
(a) dans les 30 jours suivant la date où l’avis prévu au paragraphe (1) a été signifié ou posté;
(b) dans le délai supplémentaire que le juge peut accorder s’il est convaincu que le contribuable a présenté la requête aussitôt que possible.
(4) Une requête visée à l’alinéa (2)(c) peut, à la demande du contribuable, être entendue à huis clos si le contribuable démontre, à la satisfaction du juge, que les circonstances le justifient.
(5) A l’audition d’une requête visée à l’alinéa (2)(c), il incombe au ministre de justifier l’ordre.
(6) Dans le cas d’une requête visée à l’alinéa (2)(c), le juge statue sur la question de façon sommaire et peut confirmer, annuler ou modifier l’ordre et rendre toute autre ordonnance qu'il juge indiquée.
(7) Lorsque, pour quelque motif, le juge saisi d’une requête visée à l’alinéa (2)(a) ne peut instruire ou continuer d’instruire la requête visée à l’alinéa (2)(c), un autre juge peut être saisi de cette dernière.
(8) Il n’est accordé de dépens sur aucune décision rendue à la suite d’une requête visée au paragraphe (2).
Comme l'indique le paragraphe liminaire de l'article 225.2, la procédure de recouvrement ainsi instituée est une exception au principe général, consacré par l’article 225.1, restreignant le droit du Ministre de recouvrer des impôts impayés. L'article 225.1 édicte que:
225.1 (1) Lorsqu’un contribuable est redevable du montant d’une cotisation établie en vertu de la présente loi (appelé “montant impayé” au présent paragraphe), à l’exception d’un montant payable en vertu du paragraphe 227(9), le ministre, pour recouvrer le montant impayé, ne peut, avant le 90 jour suivant la date de mise à la poste de l’avis de cotisation,
(a) entamer une poursuite devant un tribunal;
(b) attester le montant impayé, conformément au paragraphe 223(1);
(c) exiger qu’une personne fasse un paiement, conformément au paragraphe 224(1);
(d) exiger qu’une institution ou personne visée au paragraphe 224(1.1) fasse un paiement, conformément à ce paragraphe;
(e) exiger la retenue du montant impayé par déduction ou compensation, conformément à l’article 224.1;
(f) Exiger qu’une personne remette des deniers, conformément au paragraphe 224.3(1);
(g) donner un avis, délivrer un certificat ou donner un ordre, conformément au paragraphe 225(1).
Historique
L’introduction de cette mesure législative faisait suite aux voeux du gouvernement de protéger les droits des contribuables comme en témoigne l’extrait suivant tiré du discours du trône ouvrant la première session de la trente-troisième législature — 5 novembre 1984:
Les droits des contribuables doivent être protégés; des mesures législatives seront donc proposées afin qu’aucun n’ait à payer des impôts qu’il conteste avant d’avoir été entendu par un arbitre impartial.
Concrètement cette intention a pris la forme d’un projet de loi qui ultimement après son adoption est devenu le chap. 45 des Statuts du Canada de 1985. Au sujet des visées du projet de loi, je retiens les extraits suivants d’une intervention du secrétaire parlementaire du ministre des Finances à la Chambre des Communes. Les extraits sont tirés du journal des débats du 24 septembre 1985 aux pages 6935-36:
Les amendements proposés portent principalement sur trois points: premièrement, les restrictions au recouvrement; deuxièmement, le remboursement des impôts en litige; troisièmement, les mesures de prévention contre les abus de ce nouveau système.
Bien qu’une cotisation établie par Revenu Canada en vertu de la loi soit payable par le contribuable sans délai, les amendements concernant les restrictions au recouvrement prévoient qu’aucune mesure formelle de recouvrement ne peut être prise par Revenu Canada au cours des 90 jours suivant la cotisation. Au cours de cette période de 90 jours, le contribuable peut, comme c’est le cas actuellement, contester la décision du ministre en produisant un avis d’opposition à la cotisation.
Si le contribuable ne produit pas d’avis d’opposition et ne paie pas le montant de la cotisation, des mesures formelles de recouvrement de ce montant peuvent, selon les amendements, être entamées 90 jours après la date de la cotisation. Toutefois, si le contribuable produit un avis d’opposition, les mesures formelles de recouvrement de la somme en litige sont retardées jusqu’à ce que Revenu Canada ait terminé son examen de l’opposition et jusqu’à ce que soit expiré le délai dont dispose le contribuable pour en appeler de la décision de Revenu Canada sur ladite opposition. Si le contribuable décide d’en appeler devant un tribunal, dans ce délai de 90 jours prévu par la loi, pour contester la cotisation confirmée ou modifiée par Revenu Canada, le projet de loi fait en sorte que les mesures formelles de recouvrement de la somme en litige soient de nouveau retardées jusqu’à ce que le tribunal de première instance rende sa décision finale.
Dans le cas où le tribunal de première instance rend une décision défavorable au contribuable, celui-ci doit payer la somme en litige ou offrir une garantie pour cette somme à Revenu Canada, même s’il en appelle de la décision devant une instance supérieure.
Tout comme dans la loi actuelle, les intérêts sur les montants finalement déterminés payables par le contribuable courent à compter de la date où ces montants ont été initialement déterminés comme étant payables.
Viennent s’ajouter aux dispositions qui limitent le droit de Revenu Canada d’entamer des mesures de recouvrement avant que le contribuable n’ait eu l’occasion de s’adresser à un tribunal, certains amendements qui permettent au contribuable de demander que la somme en litige, qu’il a déjà payée, lui soit remboursée ou que la garantie qu’il a offerte pour cette somme lui soit remise jusqu’à ce qu’il en appelle devant un tribunal de la cotisation ou de la nouvelle cotisation établie par le ministre du Revenu national.
De plus, si Revenu Canada ne répond pas à une opposition faite par le contribuable dans un délai de 120 jours de la date de production de l’avis d’opposition, le contribuable peut demander que la somme en litige lui soit remboursée ou que la garantie offerte lui soit remise, sans nécessité d’en appeler devant un autre tribunal.
Le projet de la loi aujourd'hui proposé renferme, en outre, des mesures de prévention contre les abus de ce nouveau système. En effet, dans le cas ou il est raisonnable de croire que l'octroi du délai qui précède les mesures de recouvrement de sommes en litige en compromettrait le recouvrement, le projet de loi permet à Revenu Canada d'entamer des mesures de recouvrement sans délai. En revanche, le contribuable a le droit de demander à un juge de réviser la décision de Revenu Canada portant sur le fait que le recouvrement éventuel de l'impôt serait compromis.
Le projet de loi renferme une autre mesure de protection qui autorise les tribunaux à cotiser un montant ne dépassant pas 10 p. 100 de la somme en litige dans le cas où un appel est jugé non fondé et est interjeté essentiellement en vue de reporter indûment le paiement du montant d’une cotisation déjà due.
Monsieur le Président, l’insertion dans la Loi de l’impôt sur le revenu des dispositions concernant le paiement des impôts sur le revenu des dispositions concernant le paiement des impôts en litige constitue une mesure concrète en vue d’assurer l’application équitable de notre système de recouvrement des impôts, plus fondé sur l’esprit de la justice naturelle que sur la procédure judiciaire. Grace à ces dispositions, les contribuables n’auront pas à payer des impôts dont ils estiment ne pas être redevables tant que leur cas ne sera pas entendu devant un tribunal indépendant. En d’autres termes, le contribuable ne sera pas condamné avant d’avoir été équitablement jugé. Il s’agit là d’une importante étape vers la mise en place d’un système de recouvrement juste et équitable pour tous les Canadiens.
[Italiques ajoutés.]
Somme toute, comme l’a signalé mon collègue le juge Joyal dans l'affaire Peter S. Laframboise v. la Reine, jugement de la Cour fédérale rendu le 2 juillet 1986, portant le numéro T-667-86 (à la page 2) [reported at [1986] 2 C.T.C. 274 at 275; 86 D.T.C. 6396 at 6396:
[...] Ces règles se distinguent nettement de celles qui, pendant longtemps, ont été appliquées en matière d’impôt, et elles visent à réduire de façon importante le droit du Ministre de recouvrer un impôt impayé tant que les divers moyens d’appel n’ont pas été épuisés.
Toutefois, le Ministre s'est réservé une porte de sortie, soit le paragraphe 225.2(1) [cité plus haut], qui lui permet de prendre des mesures de recouvrement immédiates lorsqu'il est raisonnable de croire que l'octroi à un contribuable d'un délai pour payer le montant d'une cotisation établie à son égard compromettrait le recouvrement de ce montant.
Dans de telles circonstances, comme l'écrivait le juge Joyal toujours dans Peter S. Laframboise (précitée), le Ministre peut donc, d’un ordre, exiger le paiement immédiat de la cotisation d’impôt établie*et engager des procédures de recouvrement qui lui seraient autrement interdites. C'est ce qui s'est passé dans le cas qui nous occupe.
Comme je l'ai souligné dans un des extraits du journal des débats de la Chambre des Communes, le contribuable peut s'opposer à une telle me- sure d'exception. En espérant qu'on ne m'en tiendra pas rigueur, je ne peux faire mieux que citer à nouveau mon savant collègue le juge Joyal pour expliquer le mécanisme de révision prévu par le paragraphe 225.2(3) de la Loi (à la page 3 [C.T.C. 276; D.T.C. 6397]:
...[...] En effet, le paragraphe 225.2(3) lui [le contribuable] permet de présenter une requête à un juge d’une Cour supérieure ou de la Cour fédérale en vue de faire annuler ou modifier l’ordre donné. Ce recours donne lieu à une audience où sont exposés les motifs en cause et où il incombe au Ministre de justifier l’ordre qu’il a donné. Le juge peut alors statuer sur la requête, soit en confirmant l’ordre, soit en l’annulant ou en le modifiant et rendre toute autre ordonnance qu’il juge indiquée. Un juge peut donc examiner les motifs à partir desquels le Ministre a donné l’ordre en question et décider s’ils sont de nature à justifier la mesure exceptionnelle prise par le Ministre. Il s’agit par conséquent d’une procédure de contrôle de l’exercice des pouvoirs du Ministre qui, autrement, seraient illimités.
Voilà où nous en sommes en l'espèce et, comme le prévoit d’ailleurs le paragraphe 225.2(5) de la Loi, il incombe au Ministre de justifier son ordre.
Arguments du Ministre
Au soutien de sa position, l'intimée a produit un certain nombre de déclarations assermentées dont celle de Marc Blanchard, directeur de l'impôt au bureau de district de St-Hubert du ministère du Revenue national, Impôt. C'est lui qui a signé l'original de l'avis du 11 mars 1986 intimant l'ordre à la requérante de verser immédiatement le montant des nouvelles cotisations. Les raisons qui l'ont poussé à agir ainsi sont consignées au paragraphe 13 de sa déclaration assermentée que je reproduis illico:
13. — J'ai donc estimé le 11 mars 1986 qu’il était raisonnable de croire que l’octroi d’un délai à 1853 pour payer la cotisation émise contre elle pour les années 1983 et 1984 au montant de $3,096,556.98 en compromettrait le recouvrement, et j’ai décidé d’en ordonner le versement immédiat pour les motifs suivants:
(a) il apparaissait que 1853 n’avait pas tenu compte de l’avis et de la mise en garde de leurs comptables au sujet de sa situation fiscale pour l’année 1983, exprimés en octobre 1983;
(b) le comptable avait déjà dit que l’argent pourrait partir vite et que nous savions ce que nous avions à faire;
(c) le 14 février 1986, les administrateurs réglaient leurs différends;
(d) le même jour (14 février 1986), malgré une note des comptables au sujet d’un impôt possible de $1,900.000.00 pour 1983 et 1984, 1853 avait
— vendu des créances totalisant $1,608,000.00 en capital seulement, portant intérêts à 12% et plus, et venant à échéance partie en janvier 1987, partie en février 1988 et partie en février 1993;
— obtenu pour ce transfert un montant d’environ $1,664,000.00;
— déclaré et payé un dividende d’environ $4,500,000.00 aux compagnies de gestion personnelles de Messieurs Gagnon et Archambault;
(e) il ne restait plus en certificats de dépôt qu’environ $1,300,000.00, lesquels venant à échéance le 24 mars 1986, pour couvrir l’impôt fédéral et provincial de 1985 et 1986;
(f) le montant de la créance de 1853 contre la Caisse de dépôt et de placement du Québec pouvait se situer entre 1 et 6 millions;
(g) les actifs mentionnés au paragraph 4(b) ci-dessus (autre que la créance contre la Caisse de dépôt et de placement) non déjà liquidés n’atteignaient pas le montant de la cotisation de $3,096,556.68, et pouvaient facilement être liquidés ou escomptés.
Les acifs dont fait était l’alinéa (g) ci-dessus sont, outre la créance contre la Caisse de dépôt et de placement, un billet promissoire de 1 000 000 $ du Crédit industriel Desjardins portant intérêts à 12,5% et venant à échéance le 14 janvier 1987, des obligations de la Commission scolaire Le Gardeur au montant de 608 000 $ portant intérêts à 12% et 12,5% et venant à échéance partie en février 1988 et partie en février 1993. Sauf que ce billet et ces obligations ont été transférés à Lévesque Beaubien Inc. le 14 février 1986 pour un prix d’environ 1 664 000 $. Enfin la requérante possédait toujours une créance hypothécaire de 2 rang au montant de 813 000 $. Voilà grosso modo les faits et les motifs en vertu desquels le directeur de l’impôt a cru bon émettre l’ordre contesté.
Arguments de la requérante
Dans sa requête en révision, la requérante a allégué que le Ministre n’avait pas de raison suffisante de croire que l’octroi du délai accordé à la requérante par la Loi [225.1] pour payer le montant des cotisations compro- metterait le recouvrement de ce montant d’impôt. La prétention de la requérante s’appuie sur un certain nombre de déclarations assermentées provenant tant des administrateurs de la compagnie requérante que des avocats et experts comptables engagés par elle. Ce que l’on peut trouver à glaner de ces déclarations se résument à ceci:
(1) que le Ministre n’a pas tenu compte du fait que la requérante a payé un dividende de 4,5 millions de dollars non sans avoir préalablement mis de côté 1,3 millions de dollars pour ses impôts de 1986;
(2) que le Ministre n’a pas tenu compte d’un solde de prix de vente de l’ordre de 7 millions de dollars dû par la Caisse de dépôt et de placement à la requérante et que ce solde rapporte 60 000 $ par mois à la requérante sous forme d’intérêts;
(3) que le Ministre n’a pas tenu compte d’un crédit d’impôt de l’ordre de 1 mil- ion de dollars payable à la requérante en 1987;
(4) que le Ministre n’a pas tenu compte d’un autre solde de prix de vente de 700 000 $ dû par Alfid Services Immobiliers à la requérante; et
(5) que le Ministre n’a pas tenu compte de la valeur des actions détenues par la requérante dans ses filiales Place Mont-Royal Inc. et Bupo Inc.;
Droit applicable
Depuis que ces nouvelles dispositions ont reçu la sanction royale, soit le 29 octobre 1985, la présente requête constitue la troisième requête du genre soumise à la Cour fédérale. La première était Peter S. Laframboise
(précitée) et la deuxième, toute récente d’ailleurs, était Bonnie Ellen Danielson c. Le sous-procureur général du Canada et autre, décision portant le numéro T-1139-86 et rendue par le juge McNair le 5 septembre 1986 [reported at [1986] 2 C.T.C. 380; 86 D.T.C. 6518].
Dans cette dernière affaire, mon docte collègue a tenu les propos suivants (à la page 3 [C.T.C] 381; D.T.C. 6519):
In my judgment, the issue goes to the matter of collection jeopardy by reason of the delay normally attributable to the appeal process. The wording of subsection [225.2(1)] would seem to indicate that it is necessary to show that because of the passage of time involved in an appeal the taxpayer would become less able to pay the amount assessed.
In my opinion, the fact that the taxpayer was unable to pay the amount assessed at the time of the direction would not, by itself, be conclusive or determinative. Moreover, the mere suspicion or concern that delay may jeopardize collection would not be sufficient per se. The test of “whether it may reasonably be considered" is susceptible of being reasonably translated into the test of whether the evidence on balance of probability is sufficient to lead to the conclusion that it is more likely than not that collection would be jeopardized by delay. [Italiques ajoutes. I
Je partage l’avis du juge McNair lorsque celui-ci dit que le Ministre peut exiger le versement immédiat de la cotisation dans le cas où un contribuable pourrait ne pas être en mesure de la payer du seul fait de l'écoulement du délai que lui accorde la loi. L'importance de la somme en jeu n'a rien à voir, il s’agit plutôt pour le Ministre de savoir si les actifs du contribuable peuvent entre temps être liquidés ou faire l'objet d'une saisie de la part de d'autres créanciers et ainsi lui échapper.
De même, je suis entièrement d'accord avec le juge Joyal lorsque ce dernier affirme dans Peter S. Laframboise (précitée) que le mot "peut" et l'expression "raisonnable de croire" lus en corrélation donnent une très grande latitude au Ministre. Cette latitude permet à mon avis au ministre d'invoquer les dispositions exceptionnelles prévues au paragraphe 225.2(1) chaque fois que, suivant une prépondérance de preuves, le délai accordé au contribuable par le paragraphe 225.1(1) mettrait en péril sa créance. Je dis bien suivant une prépondérance de preuves et non au-delà de tout doute raisonnable. En cela, je rejoins les propos du juge McNair reproduits plus haut. J'ouvre ici une parenthèse pour dire que je suis d'accord avec le procureur de l'intimée lorsque ce dernier nous dit que l'ordre de paiement immédiat suivant le paragraphe 225.2(1) n'équivaut pas à une saisie avant jugement telle que le prévoit les articles 733 et suivants du Code de procédure civile du Québec.
Dans St. Lawrence Mechanical Contractor Ltd. c. Acadian Consulting Co. Ltd. et autres, [1974] C.A. 236, le juge Dubé de la Cour d'appel du Québec a fait le commentaire suivant à la page 237:
[.. .] le créancier réclamant doit affirmer sous serment des faits démontrant que le débiteur essaie de soustraire ou de cacher ses possessions de façon à empêcher son créancier de réaliser sa créance; refuser de payer ou retarder ses paiements constitue un motif permettant au créancier d’intenter des procédures légales contre son débiteur, mais ne constitue pas automatiquement une raison de craindre que sans une saisie avant jugement, la créance soit mise en péril. La saisie avant jugement est certainement une mesure extraordinaire qui ne peut être accordée que pour des raisons extraordinaires: pour y avoir droit, il faut pratiquement alléguer fraude ou des moyens s’apparentant à la fraude contre débiteur en défaut.
Il est clair que le fardeau imposé au Ministre dans le cas qui nous occupe se situe bien en-deçà de celui imposé à un créancier saisissant suivant l'article 733 du Code de procédure civile. Il n'est pas question pour le Ministre d'agir uniquement dans les cas de fraude ou de situations qui s'y apparentent, mais plutôt dans les cas où le contribuable risque de dilapider, liquider ou autrement transférer son patrimoine pour échapper au bras du fisc: bref pour parer à toute situation où les actifs d'un contribuable pourraient, à cause de l'écoulement du délai, fondre comme neige au soleil. Ainsi, il m'échet maintenant de décider si en l'espèce le Ministre avait des motifs raisonnables de croire que la requérante dilapiderait, liquiderait ou autrement transférerait ses actifs, mettant ainsi en péril la créance du Ministre.
Ratio decidendi
Après avoir entendu les parties et pris en considération leurs arguments, j'en suis arrivé à la conclusion que l’intimée n'était pas justifiée d'exiger le paiement immédiat du montant des cotisations. En effet, rien ne m'indique que la requérante essayait de se soustraire à ses obligations fiscales. Pour conclure comme je l’ai fait, j'ai dû accorder une plus grande valeur aux éléments de preuve suivantes:
(1) Relativement au solde de prix de vente dû par la Caisse de dépôt et de placement du Québec
Il a été mis en preuve que, bien qu'une partie des obligations de la Caisse envers la requérante fasse actuellement l'objet de contestations judiciaires, le reste de la créance n'est pas contestée et constitue pour la requérante, et ce suivant les termes mêmes de la transaction, un compte à recevoir [donc un actif] dont la valeur se situe au bas mot à 3,5 millions de dollars. A remarquer également que la Caisse payait, jusqu'au moment de la saisie du 11 mars 1986, 50 000 $ par mois en intérêts. Depuis, l'intimée a consenti à une mainlevée de la saisie-arrêt en mains tierces et les paiements mensuels de la Caisse à la requérante ont repris comme en fait foi la lettre du 3 avril 1986 émanant du directeur de l'impôt, Marc Blanchard, et produite comme pièce À à la déclaration ous serment de Bernard Reis, avocat de la requérante.
(2) Relativement au paiement d'un dividende de 4, 5 millions de dollars aux actionnaires de la requérante
La preuve a révélé que la requérante n’avait jamais auparavant payé de dividendes et que c'est à la suite du règlement d'un différend existant entre les deux seuls administrateurs-actionnaires de la requérante qu'il a été convenu de verser un tel dividende. Originalement ce dividende devait être de l'ordre de 5,5 millions de dollars. Mais les administrateurs ont jugé préférable après avoir consulté les vérificateurs de la requérante de réduire ce montant à 4,5 millions de dollars et de garder en réserve 1,3 millions de dollars comptant pour payer les impôts. Bien que ce versement de dividendes a eu lieu le 14 février 1986, soit un mois avant l’ordre de paiement immédiat du Ministre, ce dernier n’a pas réussi à prouver que justement ce paiement a été fait pour dilapider, liquider ou autrement transférer une partie des actifs de la requérante pour les soustraire au fisc. Il n’y a rien d'anormal là-dedans, spécialement lorsqu'on prend en consideration la valeur des actifs de la requérante, y compris ses comptes à recevoir, et le fait qu'elle n’avait en fin de compte qu'un seul créancier soit le fisc canadien.
(3) Relativement à la déclaration du comptable selon laquelle l'argent de la requérante pourrait partir vite et que le Ministère savait ce qu'il avait à faire
Lors d'une rencontre entre les comptables de la requérante et les enquêteurs du Ministère, l’un des comptables aurait tenu les propos suivants:
1853 a présentement de l’argent en banque mais cet argent pourrait partir vite. Donc, vous (ministère) savez ce que vous avez à faire.
Ces propos ont été rapportés par l'enquêteur Ronald Davis au directeur de l’impôt, Marc Blanchard. Ce dernier en a fait d’ailleurs l’un des motifs en vertu desquels il a émis l’ordre de paiement [cf. l'alinéa 13b) de sa déclaration sous serment]. Toutefois, ce que la preuve a permis d'établir, c'est que cette déclaration n’a jamais vraiment été prise au sérieux par les enquêteurs, ni par le directeur Blanchard lui-même. Lorsque questionné par le procureur de la requérante, le directeur Blanchard a admis que sa décision d'émettre l'ordre de paiement immédiat n’était pas particulièrement basée sur cette déclaration du comptable, mais qu'il s'agissait tout simplement d'une “information” qu'il avait [cf. p. 12 de son interrogatoire sur affidavit]. De même l'enquêteur Ronald Davis, lorsqu'interrogé sur son affidavit, a tenu à mitiger l'importance des propos du comptable. Je renvoie les parties à la page 13 de son interrogatoire où ce dernier répond qu'il n’avait pas nécessairement déduit de cette déclaration que les gens voulaient s’en aller avec l'argent. C'était un commentaire, a-t-il ajouté, et il n’a pas conclu qu'il fallait faire des démarches immédiates pour recouvrer le montant de la cotisation.
(4) Relativement aux intérêts de l'un des administrateurs de la requérante dans une compagnie située aux Antilles
La preuve a démontré que les craintes du Directeur de l'impôt au sujet du transfert possible d'actifs de la requérante, aux îles Turques et Caicos, où était plus précisément située la compagnie dans laquelle l'un des administrateurs de la requérante avait des intérêts, se sont avérées non fondées. En effet, l'administrateur en question n’était plus actionnaire de la compagnie antillaise depuis le 1 novembre 1984 [cf. l'affidavit de Maurice E. Archambault du 25 avril 1986].
Ces quatre éléments que je viens d'énumérer et de discuter me suffisent amplement pour justifier ma décision. Mais pour plus de certitude, j'ajouterais également que la preuve a mis en lumière d'autres éléments qui bien qu'ils soient, à mon avis, de moindre importance méritent tout autant d'être pris en consideration. Je fais référence au fait que la requérante détient une hypothèque maritime pour un montant de 300 000 $, qu'elle détient 100% du capital-actions de la compagnie Place Mont-Royal Inc. elle- même propriétaire de deux terrains évalués approximativement à 700 000 $, qu'elle possède également toutes les actions d'une autre compagnie, Bupo Inc., ayant une hypothèque sur un immeuble dont la valeur est de 300 000 $ et enfin qu'elle est créancière d'un autre solde de prix de vente d'environ 700 000 $ dû par Alfid Services Immobiliers.
Comme si cela n'était pas encore suffisant, je prends acte d'un engagement de l'un des administrateurs de la requérante, Maurice E. Archambault, qui par sa déclaration assermentée du 9 avril 1986, s'engage à empêcher toute sortie de fonds en faveur des actionnaires ou des personnes liées à ceux-ci tant et aussi longtemps que n'auront pas été réglées de façon définitive les cotisations d'impôt ayant donné lieu à l'ordre du Ministre du Revenu national.
À tous égards, si la conduite de la requérante est telle qu’elle ne respecte pas l'engagement pris en son nom par l’un de ses administrateurs, le Ministre pourra toujours se prévaloir des dispositions du paragraphe 225.2(1) pour exiger à nouveau le versement immédiat du montant des cotisations.
En dernière analyse, il a été mis en preuve que les saisies-arrêts pratiquées en l'espèce ont eu pour effet de paralyser les activités de la requérante et indirectement celles de quelques-unes de ses filiales. En somme, c'est à se demander si la créance de l'intimée risque plus d'être mise en péril par la paralysie de la requérante que par le seul écoulement du délai accordé au contribuable suivant le paragraphe 25.1(1). Compte tenu de ce que je viens d'exposer, poser la question c'est y répondre.
Ainsi donc, l'ordre du Ministre est annulé et conformément aux dispositions du paragraphe 225.2(8) aucuns dépens ne sont adjugés. Il va de soi que les saisies-arrêts pratiquées en l'espèce sont également annulées.
Application granted.