Dubé, J:—Le demandeur en appelle de la decision de la Commission de revision de l’impôt confirmant les cotisations du Ministre du Revenu national pour les années d’imposition 1969, 1970 et 1971 fondées sur les présomptions que la compagnie Préville Lumber Products Inc (“Préville”) était une corporation personnelle et qu’un dividende présumé devait être ajouté au revenu imposable du demandeur pour chacune des années concernées.
Le demandeur travaillait depuis 1949 pour le compte de la compagnie Henderson Furniture Limited (“Henderson”), manufacturière de meubles, et était devenu gérant de l’entreprise. Sa compétence reposait surtout sur son expertise dans l’achat du bois et les liens qu'il entretenait avec les producteurs de bois au Quebec et aux Etats-Unis. Au cours des années il avait su cimenter d’excellentes relations avec les gens du métier qu'il rencontrait, soit dans les moulins et les chantiers, soit à l’occasion de dîners, banquets, expositions, ou conférences.
Le 13 octobre 1960 il incorporait Préville dont les objets principaux étaient d’exercer le commerce de conseiller technique et financier dans les opérations forestières comprenant les commerces de bois, ... de fabrication de meubles ...” Il cédait à Prèville, dont il était le principal actionnaire, 1,659 actions ordinaires qu’il détenait dans Henderson dont il était alors le président. Le mois suivant, soit en novembre 1960, il transférait en parts égales et à titre gratuit toutes ses actions ordinaires dans Préville à son épouse et à ses trois enfants mineurs.
Le Ministre allègue qu’au cours des trois années d’imposition Préville n’exploitait pas activement une entreprise financière, commerciale ou industrielle, et que le demandeur n’était pas employé au compte de Préville et ne recevait d’elle aucun salaire. Selon le Ministre, le demandeur demeurait employé de Henderson où il exerçait d’importantes fonctions mais ne touchait pas un salaire proportionnel aux services rendus, ce salaire étant comblé par des commissions versées par Henderson à Préville. Au cours des années d’imposition les commissions suivantes ont été ainsi versées:
1969 | $18,901.40 |
1970 | $25,672.00 |
1971 | $19,488.40 |
Le Ministre allègue que ces commissions ont été établies par Henderson en fonction des services rendus personnellement par le demandeur: aucune raison d’affaire ne justifiait l’interposition de Préville dans les relations entre le demandeur et Henderson. Le Ministre a déterminé que cette interposition constituait une pure simulation pour permettre au demandeur d’éviter l’impôt et de conférer un avantage à Preville dont les membres de la famille Barbeau étaient les seuls actionnaires. Le Ministre allègue que le demandeur a profité de l’influence qu’il exerçait auprès de Henderson, et de l’indifférence de cette dernière en la matière, pour s’assurer que le paiement desdites commissions, en fait gagnées par lui-même, soit effectué selon ses instructions à l’avantage de Préville.
Exclusion faite des commissions précitées le revenu de Préville pour les années en question découlant de dividendes sur action, se chiffrait comme suit:
1969 | $ 5,746.26 |
1970 | $ 5,143.66 |
1971 | $ 4,515.82 |
Au cours des années le contrôle de Henderson a changé de mains. En juin 1961 la corporation Trans-Canada Corporation Fund achetait la totalité des actions pour la revendre à la corporation Warnock Hersey International Ltd en 1966. Le demandeur allègue qu’à chaque occasion une nouvelle convention est intervenue entre les parties pour retenir les services de Préville. Par contre, il n’a pu présenter aucun contrat écrit à cet effect et n’a fait entendre aucun témoin représentant ces compagnies pour établir l’existence de tels contrats.
Le demandeur a cependant déposé un extrait du procès-verbal d’une assemblée du bureau de direction de Henderson tenue le 21 novembre 1960 rapportant un project de contrat entre Henderson et Préville. L’objet de cette entente est d’apporter une solution au problème des ventes et des relations extériéures de Henderson Furniture Limited.” Il y est résolu qu’un poste de relations extérieures doit être cree et confié à Préville “qui dispose du personnel nécessaire et requis pour ce genre de travail”. Preville dispose “en plus de l’usage d’un chalet moderne . . . pour recevoir toute délégation d’acheteurs”. Les directeurs de Henderson acceptent la proposition de Préville “et consentent à lui verser une commission de 2 /2% sur toutes les ventes faites par Henderson Furniture Limited.”
Les minutes du Livre de Henderson rapportent que cette convention a été revisée le 28 juin 1961 limitant ladite commission à 2 /2% “sur toutes les ventes faites par Henderson Furniture Limited à une montant maximum de $13,000 par année.” Le 7 février 1963 le plafond de ladite commission a été porté à $18,000 “sur toutes les ventes faites par Henderson Furniture Limited.” Pourtant les factures de Preville à Henderson relatives aux commissions sont exclusivement pour des achats de bois, non pour des ventes de meubles.
Il faut retenir que l’expertise du demandeur se rattachait à l'achat de bois; quant à Préville, elle n’offrait aucune compétence relative à la vente du meuble. Elle n’engageait aucun employé, à part l’épouse du demandeur et le demandeur lui-mêmé, lequel ne touchait pas de salaire (excepté le montant de $3,000 en 1969). Le demandeur demeurait à la fois l’homme clé de Henderson et de Préville. Il a fortement insisté sur l’appui que sa femme lui apportait au cours des congrès et des multiples rencontres avec les gens du métier et leurs épouses, mais il n’a jamais prétendu qu’elle était experte dans le meuble ou même qu’elle avait contribué à la vente de meubles.
L’état des salaires des principaux employés d’Henderson démontre que le demandeur, à titre de président et gérant, recevait un salaire moins élevé que le gérant des ventes, le surintendant de la production, l’assistant- surintendant de la production, et le contrôleur. A titre d’exemple, pour l’année 1969 ces employés retiraient respectivement $17,419.14, $18,194.14, $16,074.14, $14,484.14, tandis que le demandeur ne touchait que $12,000. Par contre, pour cette même année, les commissions payées à Préville se montaient à $18,901.40.
Pourtant le demandeur jouait un rôle précieux, au début indispensable, pour le compte de Henderson.il savait découvrir le bois de haute qualité à des prix inférieurs à ceux payés par les compétiteurs. Même au cours des années de grande rareté de bois dur, le demandeur réussissait toujours à repérer les matériaux nécessaires, que ce soit au Québec ou aux Etats-Unis, alors que d’autres manufacturiers de meubles au Quebec fermaient leurs portes faute d’approvisionnement. C'était manifestement l’apport précieux des talents du demandeur qui justifiait les commissions. Il importait peu à Henderson, ou à ses différents propriétaires, que les chèques soient tirés au nom du demandeur ou à l’ordre de Préville, à condition que les matériaux arrivent l’usine. D’ailleurs, après les années qui nous concernent, c’est un acheteur subalterne chez Henderson, dont les connaissances dans l’achat du bois se sont enrichies au cours des années, qui a finalement pris la place du demandeur. Après le départ de ce dernier, les commissions versées à Préville se sont éteintes.
Les procureurs des deux parties ont passé en revue la jurisprudence* relative aux “compagnies de gestion”, à savoir si un employé peut substituer les services d’une corporation contrôlée par lui-même aux services qu’il fournissait déjà à l’employeur tout en bénéficiant de l’avantage fiscal ainsi obtenu. Les tribunaux reconnaissent que le contribuable a le droit d’arranger ses affaires de façon à réaliser une économie d’impôt, à condition qu'il le fasse légalement. Par contre, les tribunaux n’hésitent pas à soulever le voile corporatif pour déterminer si l’interposition d’une telle compagnie n’est pas tout simplement un simulacre. La définition courante du simulacre, ou simulation, ou “frime”, remonte à l’arrêt Snook v London & West Riding Investments Ltd, [1967] 1 All ER 518. Elle est reproduite ainsi dans une décision bien connue de la Cour suprême du Canada, MNR v James A Cameron, [1974] S.C.R. 1062; [1972] CTC 380; 72 DTC 6325.
... il signifie des actes faits out des documents signés par les parties à la “frime”, dans l'intention de faire croire à des tiers ou à la cour qu'ils créent entre les parties des obligations et droits légaux différents des obligations et droits légaux réels (s'il en est) que les parties ont l’intention de créer.
Le juge Heald de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt MNR v Anthony Thomas Leon et al, [1976] CTC 532; 76 DTC 6299, a relevé un autre critère à l’effet qu’une entente ou une transaction ne révélant pas une justification commerciale (a bona fide business purpose) est un simulacre. Quant à savoir si l’interposition de Préville est commercialement justifiée, la réponse est manifestement négative: Préville n’apportait rien de plus aux services déjà rendus à Henderson. Le but fondamental de l’interposition de Preville entre Henderson et le contribuable était visiblement de réduire l'impôt et non pas de fournir des services additionnels. C'était toujours le demandeur lui-même, président de Henderson et engagé par cette compagnie à titre de gérant, qui effectuait les achats de bois pour lesquels les commissions étaient payées. D’ailleurs, aucun contrat écrit n’a été déposé et aucune etente orale n’a ere prouvée à léffet que Henderson engageait Preville pour l’achat du bois. Les procès-verbaux tirés du Livre de Henderson ne referent qu’à une etente touchant les ventes de meubles et aucune commission n’a été versée à Préville pour de telles transactions.
Il faut donc en conclure que les commissions versées à Pre'ville constituent en réalité un revenu provenant de l’emploi du demandeur en vertu des dispositions de l’article 5 de la Loi de l’impôt sur le revenu et que le transport de ces commissions effectué selon les instructions du contribuable, ou avec son consentement, à Préville constitue un avantage au contribuable, ou à Préville et en l’occurrence à la famille du contribuable, et doit donc être inclus dans le calcul du revenu du contribuable dans la même mesure où il le serait si le paiement des commissions avait été fait directement au demandeur conformément à l’article 16 de la Loi.
De plus, Préville doit être considérée dans les circonstances comme étant une corporation personnelle en vertu de l’article 68 de la Loi, puisqu’elle était contrôlée par les membres de la famille du contribuable, qu’elle retirait au moins un quart de son revenu /exclusion faite des commissions) de dividendes ou intérêts, et qu’elle n’exploitait pas activement une entreprise financière, commerciale, ou industrielle. C’est donc que le revenu de Preville est censé avoir été distribué aux actionnaires et reçu par ceux-ci à titre de dividendes en vertu de l’article 67 durant les années d’imposition 1969, 1970 et 1971. Le demandeur, ayant transporté ses actions dans Préville à son épouse et à ses enfants mineurs, (dont l’un n’avait pas encore atteint l’âge de 19 ans avant la fin des années précitées) les dividendes présumément reçus par son épouse et ce dernier enfant sont réputés constituer le revenu du demandeur en vertu des paragraphes 21(1) et 22(1) de la Loi.
Le demandeur n’a pas réclamé à titre d’alternative dans sa déclaration la déduction du revenu imposable des dépenses légitimes encourues par Préville ou le demandeur; son procureur a pourtant argumenté dans ce sens. Je crois que cette requête est légitime et le Ministre devra dans ses cotisations tenir compte des dépenses effectuées. Il incombera cependant au demandeur de prouver les dépenses réclamées, pièces justificatives à l’appui. Cette réclamation n’ayant pas été alléguée dans les plaidoiries, le demandeur devra s’en remettre à la décision du Ministre quant à la somme des dépenses déductibles, ou en appeler des nouvelles cotisations.
L’appel est rejeté avec dépens.